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Les sacres en français québécois

Diane Vincent

Professeure
Université Laval

De tous les phénomènes qui caractérisent le français québécois, le sacre est certainement le plus connu, voire le plus emblématique. Véritable marque identitaire, il permet aux Québécois francophones d’être reconnus comme tels et de se reconnaître entre eux. Pas étonnant que, dans leur désir d’intégration, les nouveaux arrivants tentent souvent d’en saisir le mode d’emploi.

Le terme sacre

Attesté dans la langue française en 1649, le terme sacre est donné comme équivalent à juron ou à blasphème. S’il est exact de considérer que le sacre est lié à l’usage interjectif du vocabulaire religieux et possède, à l’origine, une dimension blasphématoire, le terme sacre fait appel à un ensemble complexe de connaissances et de pratiques typiquement québécoises.

Le vocabulaire sacré dans le discours profane

Le sacré s’oppose au profane et, dès qu’une société reconnaît l’existence d’un être supérieur, il existe des règles qui assurent la séparation des deux domaines. Cependant, ce qui est sacré n’est pas toujours interdit aux citoyens. Ainsi, dans la langue latine, le terme sacer représente ce qui est chargé de la présence divine et couvre le domaine de la prière. Le mot sanctus correspond au champ de l’interdit et ne peut être utilisé que par des représentants de Dieu; l’intrusion des profanes dans ce domaine est blasphématoire. Le plus souvent, prières et blasphèmes sont constitués des mêmes mots et c’est le contexte qui détermine les connotations qu’ils portent.

L’usage de termes sacrés dans la parole profane est un phénomène très répandu qui émerge dans des sociétés contrôlées par un pouvoir religieux puissant et coercitif. Se crée alors une tension entre le respect de l’interdit et l’attrait pour sa transgression. L’usage inapproprié d’un terme indicible n’est pas sans conséquence, et les croyants craignent autant la colère des dieux que les châtiments humains. Cependant, cet usage peut assurer un certain pouvoir au contrevenant, comme le confère toute transgression. Lorsque la pratique de la transgression se banalise et que des changements sociaux majeurs s’opèrent, le caractère religieux s’estompe et le vocabulaire interdit perd sa force surnaturelle. Cependant, l’indicible conserve son caractère tabou et expressif; de blasphématoire, il prend une teinte de vulgarité ou de grossièreté régie par des règles de bienséance.

De façon particulière, la transgression du commandement Tu ne prononceras pas le nom de Dieu en vain, explicite dans les religions chrétiennes, est un défi lancé aux autorités divines et, surtout, cléricales. Ainsi, la France du Moyen Âge fut-elle une terre fertile pour l’exploitation du blasphème, tout comme l’Italie et l’Espagne.

Le phénomène du sacre au Québec

À l’instar de leurs ancêtres, les colons français utilisaient surtout, comme interjections blasphématoires, le nom de Dieu et du Diable ainsi que de très nombreux euphémismes, c’est-à-dire des formes dérivées de ces mots interdits ayant subi suffisamment de transformations pour minimiser les conséquences de leur usage : torrieu (je fais du tort à Dieu), vinguienne (je vaincs Dieu), jarnigouenne (je renie Dieu), parbleu (par Dieu). Ces formes, issues du Moyen Âge, qui consistaient en de véritables défis lancés à Dieu, ont traversé les siècles et les mers. Mais la foi et, surtout, le pouvoir de l’Église faiblissant, elles ont cessé, à la Renaissance, de rendre les utilisateurs passibles des pires châtiments. En effet, si les colons ont utilisé les mots religieux « à la française », les procès intentés contre les blasphémateurs ont été peu nombreux en Nouvelle-France.

Le sacre « à la québécoise » n’est pas en filiation avec les blasphèmes du Moyen Âge, ni sur le plan linguistique, ni sur le plan sociohistorique. Le développement original de l’usage du vocabulaire religieux apparaît vers le milieu du 19e siècle, quand le clergé assure son emprise sur la population et sur les institutions locales affaiblies par la Conquête.

L’originalité linguistique du sacre au Québec

Quatre traits linguistiques caractérisent le sacre québécois par rapport à d’autres phénomènes blasphématoires.

Le sacre se caractérise en premier lieu par le recours à des mots religieux autres que le nom de Dieu ou de la Vierge, mots qui appartiennent à un domaine sacré très étendu : le nom du fils de Dieu, les objets de culte, les lieux sacrés et les pratiques rituelles.

En deuxième lieu, la plupart des mots religieux utilisés en interjection subissent des transformations de leur prononciation d’origine qui permettent d’opposer leurs usages sacrés et profanes (calice et câlisse, tabernacle et tabarnak, Vierge et viarge).

En troisième lieu, il faut signaler la multiplication des euphémismes. En effet, à partir d’une quinzaine de mots religieux (dont les principaux sont : Christ, Vierge, hostie, calice, tabernacle, ciboire, calvaire, sacrement, baptême), plus de 2000 mots ont été recensés. La rhétorique populaire fait montre d’une créativité peu commune avec la formation de centaines de dérivés (clif, estic, câline, tabarnanne), d’amalgames divers (câliboire, qui vient de câlisse et ciboire) et d’expressions composées (ostie toastée, tabarnak à deux étages, ciboire électrique, bout de criss).

Enfin, plusieurs mots religieux utilisés à des fins interjectives se sont relexicalisés, c’est-à-dire qu’ils ont produit de nouveaux mots appartenant à diverses catégories grammaticales. De sacres, ils sont devenus des noms (le grand tabarnak), des verbes (crisser un coup de pied, s’en câlisser), des adverbes d’intensification (crissément) ou des composantes d’expressions intensificatrices (osti de X, osti que X, c’est X en osti). Ce nouveau vocabulaire prend un sens particulier qui n’a rien à voir avec le sens d’origine des mots. Cependant, il conserve une lourde charge expressive et subit, encore au 21e siècle, des jugements négatifs de vulgarité.

Cependant, bien qu’on connaisse l’histoire des sacres, la question de la sélection spontanée des termes sacrés qui, parmi l’ensemble, ont pris racine dans la parole profane reste entière : pourquoi hostie et non patène, baptême et non mariage, étole et non chasuble?

L’avenir du sacre

Depuis le milieu du 20e siècle, le sacre correspond à une transgression moins religieuse que sociale. L’affaiblissement du pouvoir clérical, la diminution de la pratique religieuse et la banalisation de l’usage des sacres réduisent la force expressive du vocabulaire religieux, et c’est sans doute la raison pour laquelle le sacre ne suscite plus de nouvelles créations. Bien qu'il partage le champ du tabou langagier avec le vocabulaire à caractère sexuel et scatologique, il demeure une ressource privilégiée par les Québécois pour l'expression des émotions.

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Ce mot fait partie de la liste orthographique (#listeNomComplet#) du ministère de l’Éducation et de l'Enseignement supérieur (MEQ) du Québec, élaborée en collaboration avec le Centre d’analyse et de traitement informatique du français québécois (CATIFQ) de l’Université de Sherbrooke.

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