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Dès que deux cultures se trouvent en contact, il y a échanges d’idées, d’information, de produits… et de vocabulaire. Ainsi, dans l’Antiquité, les Grecs créent le concept de démocratie et le mot qui le désigne est emprunté plus tard par le latin avant de passer au français. L’anglais puise plusieurs mots dans le vocabulaire de la cuisine française (chef, menu, entrée); le français s’inspire de la musique italienne (allegro, concerto); mais, avec l’arrivée de l’industrialisation, puis des nouvelles technologies, c’est à l’anglais que l’on emprunte le plus aujourd’hui.
Une langue, pour enrichir son vocabulaire, peut
soit construire un mot à partir d’éléments anciens (téléphone, du grec), en combinant des mots ou parties de mots existants (courriel, motoneige), en agençant des initiales (cégep); tous ces termes ont les attributs d’un mot « normal » (accent, marque du pluriel et dérivés possibles);
soit procéder par dérivation (bleuetière, sur bleuet);
soit emprunter à une langue étrangère.
Des trois procédés, l’emprunt est, de loin, le plus courant, pour de multiples raisons. On emprunte d’abord par mesure d’économie : il est beaucoup plus facile d’intégrer un mot étranger que d’en composer un nouveau : quand le kiwi arrive sur les marchés, on garde son nom anglais (lui-même emprunté au maori), comme on l’avait fait auparavant pour le café (turc) ou le cacao (espagnol, pris à l’aztèque); cela se vérifie surtout dans des domaines où le vocabulaire se développe rapidement (dans les nouvelles technologies, avec Internet ou cédérom). Le même facteur de facilité explique que des mots plus courts, donc plus simples, se répandent facilement (révolver à côté de pistolet à barillet).
Parmi les autres motifs, critiquables ceux-là, se trouvent l’effet de mode (pin’s, dit emprunt « de luxe », déjà disparu du Petit Robert), la méconnaissance du mot français existant ou le refus de l’utiliser quand on l’apprend (en informatique, backup, hacker et laptop restent vivants à côté des sauvegarde, pirate et portable, en langue familière du moins).
Trois types d’emprunts existent :
l’emprunt direct quand un mot ou un groupe de mots est repris sans modification (aréna, à l’origine sans accent) ou avec adaptation (aérobique, avec sa finale francisée);
le calque quand le mot ou l’expression est traduit, plus ou moins fidèlement, dans la langue d’arrivée (salle de séjour, de living-room, lune de miel, de honeymoon);
l’emprunt de sens quand un sens d’origine étrangère est ajouté au français (réaliser, pour se rendre compte, parfois encore critiqué, a été emprunté à l’anglais et adjoint au sens français de accomplir, exécuter).
Les emprunts directs s’intègrent parfois mal au français : no man’s land (sans équivalent) cache bien mal son origine; d’autres, même francisés (fioul, de fuel) restent détectables; d’autres encore, plus anciens (paquebot, de packet-boat) sont si bien intégrés que seuls des spécialistes les connaissent. Par ailleurs, on dira qu’un emprunt est bien adapté quand il prend les accents du français (éditorial), qu’il peut devenir la base d’une série de dérivés (stress permet stressant, stresser) ou qu’il se prononce « à la française » (laser).
Les calques et les emprunts de sens s’intègrent parfaitement, puisqu’ils sont faits de mots français (patate chaude, au sens de problème, sujet brûlant, de hot potato). Mais, tant pour les emprunts directs que pour les calques ou les emprunts de sens, intégration n’est pas synonyme d’acceptabilité.
Les emprunts, à l’anglais surtout, font souvent l’objet de critiques. Évidemment, les emprunts anciens (film) ou bien intégrés (cafétéria) ne sont pas rejetés, même si leur origine saute aux yeux (camping). D’autres sont acceptés parce qu’ils n’ont tout simplement pas d’équivalent (jeans, tee-shirt).
Le problème se pose lorsque l’emprunt est considéré comme inutile parce qu’un ou plusieurs équivalents sont en usage en français : pourquoi utiliser building quand on a immeuble, tour, édifice et même gratte-ciel (pourtant traduit de skyscraper)?
Toutefois, le critère de l’inutilité, le seul qui soit relativement objectif, n’est pas toujours facile à manier. En effet, certains équivalents ne se trouvent presque jamais, soit qu’ils correspondent mal à la définition que s’en font les locuteurs (infovariétés pour talk-show), soit qu’ils sont trop longs (émetteur-récepteur portatif pour walkie-talkie). Certains ont des équivalents réels mais peu fréquents (bouteur pour bulldozer). Quelques-uns enfin, ayant des concurrents français de fréquence assez élevée (cadreur pour caméraman, entrepreneuriat à côté de entrepreneurship), restent pourtant largement utilisés, même en langue standard.
Il faut donc, à côté du critère « utilité », évaluer l’usage, ou la fréquence en langue soignée. Sinon, la critique risque d’être plus théorique qu’utile.
Le Québec a souvent innové en proposant des termes qui ont réussi à s’imposer en langue standard (courriel, motoneige et traversier pour e-mail, skidoo et ferry). On a par ailleurs remplacé d’autres emprunts par des termes français jugés équivalents (bowling, puzzle, sponsor, courants en France, deviennent quilles, casse-tête, commanditaire).
Le Québec a aussi eu recours aux calques, avec des succès divers : quelques-uns ont eu une vie éphémère (chien chaud a très peu résisté à hot dog), d’autres ne passent presque pas dans l’usage sauf dans l’affichage (lait fouetté pour milk shake), d’autres encore ont été acceptés, mais restent controversés (arrêt pour stop, pourtant intégré au français depuis 1792).
Le calque peut cependant avoir des effets pervers : certaines mauvaises traductions (en langue familière surtout) se sont répandues (billet de courtoisie, alors que billet de faveur existe et que courtoisie, en français, signifie politesse et non gratuité).
Les emprunts de sens, fréquents au Québec, provoquent aussi bon nombre d’erreurs, parfois même des contresens (versatile a, en français, la valeur péjorative de changeant, inconstant; sous l’influence de l’anglais, le sens positif de polyvalent, aux talents variés, s’est répandu, notamment dans le langage des sports).
Les jugements à porter sur les emprunts utilisés au Québec doivent donc être empreints de prudence. Les critères habituels s’appliquent : intégration, utilité, fréquence; mais il faut aussi évaluer la justesse des sens, le registre (certains termes sont fréquents en langue familière et leur équivalent se trouve presque exclusivement en langue standard), tenir compte des connotations particulières (éléphant blanc vient de white elephant, mais le gouffre financier proposé ne satisfait pas toujours : un projet comme Mirabel est bien plus qu’un simple gouffre financier!).
Il importe enfin de rester conscient que les emprunts à l’anglais, ou leurs équivalents, ne sont pas toujours les mêmes au Québec et dans le reste de la francophonie : une meilleure communication, sur le plan international, est à ce prix.