Le roman canadien-français, appelé québécois à compter des années 1960, n’évoluera pas nécessairement dans la continuité de la littérature française d’avant 1763, même si l’influence européenne gardera un poids certain. Il connaîtra sa propre évolution.
Ce genre se divise en quatre principaux courants au 19e siècle et dans la première partie du 20e. L’influence d’un livre (1837) de Philippe-Aubert de Gaspé fils inaugure la série romanesque en la plaçant sous le signe du roman d’aventures. La parution des quatre tomes de l’Histoire du Canada de François-Xavier Garneau (1845, 1846, 1848, 1852) stimule le roman historique, tels Les anciens Canadiens (1863) de Philippe-Aubert de Gaspé père. Le courant s’étend jusqu’au 20e siècle avec, par exemple, Les engagés du Grand Portage (1938) de Léo-Paul Desrosiers. Laure Conan, qui avait aussi suivi ce courant, en initie un autre, celui du roman psychologique, avec Angéline de Montbrun (1881-1884); il sera continué, dans les années 1930, par Jovette Bernier, avec son roman La chair décevante (1931), et Éva Senécal, avec Dans les ombres (1931). Puis le roman de la terre lie l’avenir des Canadiens français à la possession du sol. Rappelons qu’en 1877 le Québec est à 77 % rural et que l’idéologie qui règne jusqu’en 1945, selon le sociologue Marcel Rioux, est conservatrice. Les titres sont évocateurs : La terre paternelle (1846) de Patrice Lacombe, L’appel de la terre (1919) de Damase Potvin. Ce courant arrive à maturité dans les années 1930 avec Un homme et son péché (1933) de Claude-Henri Grignon, Menaud, maître-draveur (1937) de Félix-Antoine Savard, Trente arpents (1938) de Ringuet. En 1941, à la suite de la crise économique et de la guerre, le Québec devient à 63 % urbain. Le Survenant de Germaine Guèvremont métaphorise la liquidation du monde traditionnel; Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy illustre les ravages du chômage dans un quartier populaire montréalais. Ces deux romans, publiés en 1945, marquent le passage de la tradition à la modernité, passage que la France salue en décernant le prix Femina au roman de Roy. La manière prime désormais la matière.
De 1945 à 1960, le Québec s’affaire au rattrapage, selon Rioux. Tout en se montrant soucieux de la forme du récit, les romanciers Robert Charbonneau, Robert Élie, Jean Filiatrault, André Giroux, André Langevin, Jean Simard, Gérard Bessette explorent le for intérieur. Bessette, dans Le libraire (1960), secoue, comme plusieurs de ses confrères, l’emprise immobilisante du clergé et répudie la « grande noirceur » du duplessisme.
À compter de 1960 commence la Révolution tranquille. Le Québec se place sous le signe du développement; la production littéraire augmente, l’institution se consolide et s’autonomise, les subventions à l’édition s’accroissent et la lecture, soutenue par la démocratisation de l’enseignement, se popularise. « Notre littérature s’appellera québécoise ou ne s’appellera pas », proclame, en 1963, Laurent Girouard dans la revue Parti Pris, initiant le mouvement du même nom qui défend l’usage littéraire du joual pour traduire la dimension orale, populaire et contemporaine du français québécois. Même si le mouvement s’essouffle rapidement, la majorité des romans s’inscrivent dès lors sous le signe de la contestation des valeurs liées aux autorités traditionnelles, notamment la famille. Sur le plan formel, on s’écarte des formes canoniques du récit : s’amorce une période d’expérimentations (monologue intérieur, multiplication des points de vue, jeux sur le signifiant et, plus largement, exploration du langage). En témoignent Jacques Godbout dans L’aquarium (1962), Hubert Aquin dans Prochain épisode (1965), Marie-Claire Blais dans Une saison dans la vie d’Emmanuel (1965), qui remporte le prix Médicis, Réjean Ducharme dans L’avalée des avalés (1966) ou Victor-Lévy Beaulieu dans Race de monde (1969). C’est l’ère du roman « national », traitant de l’identité dans sa dimension collective. Les romanciers trouvent un stimulant dans l’élection du Parti québécois en 1976, mais leur enthousiasme est refroidi par la défaite référendaire de 1980. S’ensuivent un repli individualiste et une expression davantage intimiste.
Les années 1960 sont également celles qui voient les femmes arriver en nombre sur la scène de l’écriture, avec Anne Hébert, dont le premier roman, Les chambres de bois, paraît en 1958, puis Claire Martin, avec Doux-amer (1960), et Adrienne Choquette, avec Laure Clouet (1961); toutes posent le sujet féminin au cœur de leur fiction, exposant ainsi un pan du réel jusque-là peu représenté. Elles sont bientôt suivies par Monique Bosco, Louise Maheux-Forcier, Michèle Mailhot, Paule Saint-Onge et d’autres. Si les années chaudes du féminisme (1974-1979) s’expriment davantage sous les formes dramatique et poétique, un retour à la narrativité s’effectue bientôt. Certaines s’y convertissent ou y reviennent : Nicole Brossard, Louise Dupré, Madeleine Gagnon, France Théoret, Yolande Villemaire; d’autres s’y engagent et s’y révèlent : Suzanne Jacob, Francine Noël, Monique Proulx, Monique LaRue, Francine d’Amour.
Après le triomphe de la parole poétique durant les décennies précédentes, le roman fait un retour en force au début des années 1980. La production romanesque se façonne sous la pression de l’industrialisation, puis de la mondialisation de la culture. On produit des best-sellers : Le matou (1981) d’Yves Beauchemin, la saga familiale d’Arlette Cousture, Les filles de Caleb (1985-2003). On se met à l’heure mondiale, d’une part, en participant à l’écriture du roman postmoderne, caractérisé par le retour du récit plus traditionnel mais qui intègre et multiplie les jeux formels : on pense aux romans La maison Trestler (1984) de Madeleine Ouellette-Michalska et Le désert mauve (1987) de Nicole Brossard; d’autre part, en important l’autofiction : Christian Mistral publie Vamp (1988), Marie-Sissi Labrèche, Borderline (2000) et Nelly Arcan, Putain (2001). Par ailleurs, si, depuis plusieurs décennies, des écrivains et écrivaines de toutes provenances sont présents sur la scène québécoise, ce n’est qu’en 1986 qu’est formulé le concept d’« écriture migrante », pour qualifier l’apport d’auteurs et d’auteures comme Régine Robin, Sergio Kokis, Ying Chen, Dany Laferrière et Abla Farhoud, dont les œuvres sont imprégnées de thèmes transculturels, comme la nostalgie, l’exil ou l’intégration à la société d’ici.
À l’aube du troisième millénaire, le roman québécois manifeste son ouverture sur le monde, phénomène déjà entamé dans Volkswagen Blues (1984) de Jacques Poulin : l’action du roman de Nicolas Dickner, Nikolski (2005), se situe sur tout le continent américain; celle d’Un dimanche à la piscine à Kigali (2000) de Gil Courtemanche se déroule en Afrique. Certains romans sont traduits dans plusieurs langues, comme La petite fille qui aimait trop les allumettes (1998), de Gaétan Soucy, et The Life of Pi (2002), de Yann Martel. Enfin, des romans de Marie-Sissi Labrèche, de Monique Proulx et de Guillaume Vigneault, pour ne mentionner que ceux-là, sont adaptés au cinéma.