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Le syndicalisme au Québec

Jacques Rouillard

Professeur
Université de Montréal

Jusqu’aux années 1950, les mots utilisés pour identifier un syndicat reflétaient les deux grandes familles auxquelles se rattachaient principalement les syndiqués au Québec. Les membres d’un syndicat international d’origine états-unienne, disaient appartenir à une union, alors que les syndiqués catholiques se servaient du mot syndicat pour nommer leur organisation.

L’utilisation du mot syndicat, expression française juste, est révélatrice de l’influence européenne, notamment française et belge. En effet, les syndicats catholiques de ces pays ont servi de modèle. La justesse du vocable est aussi significative de l’influence des milieux intellectuels sur le syndicalisme catholique, puisque des clercs sont responsables de son introduction en milieu ouvrier. En revanche, les intellectuels se sont opposés à l’expansion des syndicats internationaux au Québec, qui ont conservé l’appellation états-unienne d’union pour s’identifier, terme calqué sur l’anglais trade union. Ces syndicats incarnent l’américanité du Québec et l’influence exercée par les États-Unis sur la société francophone.

Les syndicats internationaux sont apparus au Québec plus tôt que les syndicats catholiques, soit à partir du milieu du 19e siècle, et ils ont pris une expansion importante au début du 20e siècle. En 1911, on en dénombre 190, comptant environ 20 000 membres, en grande majorité francophones. Leur objectif est d’imposer aux employeurs la négociation collective des salaires et des conditions de travail de leurs membres. Recrutant surtout leur effectif parmi les travailleurs qualifiés, ils imposent un modèle de syndicalisme et de relations de travail qui imprègne pendant longtemps le vocabulaire des travailleurs de termes empruntés à l’anglais : bargaining, boycott, break, check-off, closed shop, journeyman, layoff, lock-out, notice, pattern, picket line, rank-and-file, scab, schedule, seniority, shift, sit-in, slowdown, staff, etc.

La poussée du syndicalisme international au début du siècle inquiète le clergé catholique, qui lui reproche de favoriser la lutte des classes et de promouvoir des mesures contraires à son enseignement. C’est pour lui faire échec que des clercs amorcent la formation de syndicats catholiques à partir de 1911, afin de répandre un modèle différent de relations de travail. Regroupés en 1921 dans la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC), ces syndicats demeurent minoritaires au Québec. À partir de la Seconde Guerre mondiale, la CTCC connaît des transformations profondes, s’éloignant de la doctrine sociale de l’Église, manifestant un plus grand militantisme et amorçant un processus de déconfessionnalisation qui culmine en 1960 avec l’adoption d’un nouveau nom, la Confédération des syndicats nationaux (CSN).

Du côté des syndicats internationaux, des changements majeurs s’opèrent dans les années 1940, avec la venue au Québec d’une seconde vague de syndicats affiliés à des unions internationales qui regroupent les travailleurs par usine plutôt que selon le métier. Ces syndicats dits « industriels », qui se répandent parmi les ouvriers semi-qualifiés et non qualifiés de l’industrie manufacturière, renforcent l’effectif des syndicats internationaux, qui représentent un peu plus de la moitié des syndiqués de la province contre le tiers environ pour les syndicats catholiques. Quant au taux global de syndicalisation, il s’élève fortement de 1941 à 1951, passant de 20,7 % à 30,1 % des travailleurs rémunérés.

La croissance du syndicalisme est favorisée pour beaucoup par l’adoption, pendant la Seconde Guerre, de lois inspirées du Wagner Act, voté aux États-Unis en 1935. Celles-ci obligent les employeurs à négocier « de bonne foi » avec les représentants de leurs employés lorsque ces derniers désirent obtenir un contrat de travail collectif. Depuis lors, la législation du travail au Québec et au Canada demeure largement modelée sur celle des États-Unis, ce qui a pour effet de colorer la terminologie des relations de travail d’expressions françaises qui n’ont pas cours dans les autres pays francophones : accréditation, atelier fermé, avantages sociaux, délégué syndical, étiquette syndicale, indemnité de vie chère, retenue salariale, sécurité syndicale, etc.

Dans les années 1960, le syndicalisme franchit une nouvelle étape en regroupant massivement les employés des secteurs public et parapublic. Touchés par l’effervescence engendrée par la Révolution tranquille et animés d’un militantisme vigoureux, ces travailleurs parviennent à obtenir le droit à la libre négociation et même à la grève en 1964 et en 1965. Ces progrès ont pour effet de placer le Québec, depuis ce temps, à l’avant-garde des lois du travail en Amérique du Nord. L’arrivée de ces syndiqués transforme la composition de l’effectif syndical en y ajoutant de nombreux cols blancs et en accroissant la proportion de femmes. Le taux de syndicalisation s’en ressent fortement, atteignant 37 % des salariés au début des années 1970. Comme l’organisation de ces travailleurs se fait sous l’impulsion de syndicats québécois et canadiens, il en résulte un affaiblissement de l’emprise du syndicalisme international sur le mouvement syndical et sur la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) qui, historiquement, les représente au Québec.

L’afflux des syndiqués des secteurs public et parapublic contribue aussi à politiser et à radicaliser les trois principales centrales syndicales dans les années 1970 : la FTQ, la CSN et la CEQ (cette dernière regroupe surtout des enseignants). Leur radicalisation se manifeste sur le plan du discours, de l’activité de grève, qui connaît une hausse spectaculaire, et de leur volonté de mettre sur pied un parti des travailleurs. Cette orientation est mal acceptée par certains des syndicats de la CSN, qui quittent celle-ci (30 000 membres) pour fonder, en 1972, la Centrale des syndicats démocratiques. C’est à cette époque également que les trois centrales remettent en cause le régime fédéral et appuient de plus en plus ouvertement la souveraineté du Québec.

Au cours des 20 dernières années, l’influence syndicale s’est sérieusement amoindrie à cause d’une croissance économique plus faible, de la persistance d’un taux de chômage élevé, de la forte concurrence, liée à la mondialisation, et de la montée du courant néolibéral. Ce nouvel environnement a pour effet d’éroder les attentes des travailleurs et de miner leur militantisme. Moins en mesure de mobiliser leurs membres, les syndicats sont placés sur la défensive lors de la négociation collective et dans les débats sur les grands enjeux sociaux. Le taux de syndicalisation demeure assez élevé, mais l’activité de grève connaît un recul marqué. L’affaiblissement du syndicalisme se traduit par des salaires négociés qui ne dépassent pas la hausse du coût de la vie et des conditions de travail qui ne comportent guère d’avancées. Quant au discours syndical, il s’adapte, les centrales modérant leur critique du système capitaliste et privilégiant, pendant un temps, la concertation avec le patronat pour protéger et susciter l’emploi.

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