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Les Acadiens sont les habitants de l’Acadie, contrée difficile à définir. Aujourd’hui, l’Acadie n’a plus d’existence géographique officielle. Il faut se reporter à l’époque de la Nouvelle-France pour trouver l’Acadie cartographiée. Il s’agissait alors de la Nouvelle-Écosse actuelle. Au cours de l’histoire, le territoire acadien s’est transformé au gré des événements, devenant plus étendu et plus flou, tout en gardant le noyau géographique d’origine. En effet, malgré leurs nombreuses pérégrinations, les Acadiens ont toujours tenté de revenir sur les lieux de leur première implantation ou le plus près possible.
Aujourd’hui, il y a consensus pour situer officieusement l’Acadie dans la région atlantique du Canada, à l’Île-du-Prince-Édouard, en Nouvelle-Écosse et surtout au Nouveau-Brunswick, province où se trouve la plus grande concentration d’Acadiens (environ 40 % de la population). La population acadienne des Maritimes est évaluée à quelque 276 000 habitants. On peut ajouter à ce nombre les Acadiens qui, à la suite de la déportation de 1755, se sont réfugiés en Louisiane et au Québec (notamment en Gaspésie, aux Îles-de-la-Madeleine et sur la Basse-Côte-Nord).
Sur le plan sociopolitique, les Acadiens du Canada, bien que dispersés dans les différentes provinces de l’Atlantique, se considèrent comme formant une seule et même collectivité, l’Acadie. Depuis plus de cent ans, ils se sont dotés d’un organisme, appelé maintenant la Société nationale de l’Acadie, qui a pour but de les représenter au plan national et international. Au cours des siècles, les Acadiens ont acquis plusieurs droits, en matière de bilinguisme officiel et, en particulier, dans le domaine de l’éducation, où ils ont obtenu la gestion de leur système scolaire et universitaire de langue française. Plus récemment, le domaine de la santé cherche à obtenir la même indépendance, en développant la dualité linguistique dans les services médicaux et paramédicaux.
Sur le plan linguistique, le français parlé en Acadie est dans une certaine mesure distinct de celui du Québec. Bon nombre de différences remontent à l’époque de la colonisation. Alors que la grande majorité des Acadiens sont originaires du Poitou-Saintonge, les Québécois ont une origine plus diversifiée, avec un nombre important de colons en provenance de l’Île-de-France et de la Normandie. Ces différences du peuplement d’origine sont encore aujourd’hui manifestes dans le français parlé en Acadie et au Québec. D’après une étude portant sur un échantillon de mots non standards relevés dans un corpus acadien, seulement environ 25 % ne se trouvent qu’en Acadie. Exemples : cagouet (nuque), éloèse (éclair), basir (disparaître), subler (siffler), s’émoyer (s’enquérir). Le reste est également en usage au Québec. Exemples : garrocher (lancer), (se) gréyer ([se] préparer). Sur le plan grammatical, le français parlé en Acadie se distingue du français parlé au Québec, le trait principal étant la désinence verbale de la troisième personne du pluriel, -ent, qui se prononce -ont ou –ant, selon la région. Exemple : ils chantent se prononce i(ls) chantont ou i(ls) chantant. Cet usage est encore très fréquent aujourd’hui, y compris chez les jeunes. À l’inverse, la forme archaïque je chantons au sens de nous chantons, souvent citée comme étant typiquement acadienne, a presque disparu de l’usage, sauf dans certaines régions isolées de la Nouvelle-Écosse. De façon plus générale, on note que, à la fois sur le plan phonétique et sur le plan grammatical, le parler traditionnel acadien est fortement apparenté au français populaire employé en France au début du 17e siècle, date de l’arrivée des colons français en Amérique du Nord.
Jusqu’au milieu du 20e siècle, l’Acadie a connu une relative stabilité linguistique, fondée sur une situation de diglossie, où le français avait une place limitée bien qu’elle fût incontestée, non seulement à la maison mais aussi dans la communauté immédiate, essentiellement rurale et linguistiquement très homogène. À l’inverse, aujourd’hui, le français parlé en Acadie est en pleine évolution. Avec l’exode des ruraux vers la ville et avec le développement de la société en général, les contacts linguistiques s’intensifient de plus en plus, d’une part, avec la langue dominante, l’anglais, d’autre part, avec les autres variétés de français, le français du Québec pour ce qui est de la langue parlée et le français standard pour ce qui est de l’écrit. Dans la région du sud-est du Nouveau-Brunswick, plus précisément à Moncton, le phénomène de l’anglicisation est d’une telle ampleur que s’est développé un franglais d’un type particulier, appelé le chiac (d’après le nom de la ville de Shédiac, située à environ 20 km de Moncton). Dans ce parler, les emprunts ne se limitent plus aux catégories lexicales habituellement touchées, mais s’étendent à bien d’autres catégories, comme en témoignent les exemples suivants : « il est back venu » (« il est revenu ») et « il est tard, so je partirai pas » (« il est tard, donc je ne partirai pas »). Cependant, bien que le vocabulaire de ce parler soit très largement emprunté à l’anglais, la structure demeure principalement française, malgré les nombreux calques. Cette nouvelle variété de langue peut-elle encore être considérée comme faisant partie du français acadien? La réponse à cette question est oui, sans hésitation aucune, puisque les locuteurs du chiac sont exclusivement des Acadiens dont la langue maternelle est le français. Mais l’inverse n’est pas vrai : le chiac n’est pas la langue de tous les Acadiens. Cette nouvelle variété de langue est loin d’avoir envahi l’Acadie tout entière. Une frontière linguistique sépare les régions encore très francophones du nord du Nouveau-Brunswick (la péninsule acadienne incluse) du reste des régions acadiennes, plus anglicisées, ce qui comprend le sud-est du Nouveau-Brunswick ainsi que l’Île-du-Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse.
Au 21e siècle, malgré la force du phénomène d’anglicisation qui sévit en Acadie, le français demeure la langue maternelle et la langue d’usage d’une majorité d’Acadiens. L’assimilation à la langue anglaise reste cependant une réelle menace. Ces dernières décennies, alors qu’au Nouveau-Brunswick le taux d’anglicisation semble s’être stabilisé à quelque 10 %, en Nouvelle-Écosse et à l’Île-du-Prince-Édouard, où les Acadiens sont beaucoup plus minoritaires, il se situe à quelque 50 %. Si le français a pu survivre jusqu’à présent en Acadie, c’est grâce, d’une part, à l’isolement (dans le passé surtout) et, d’autre part, à la lutte incessante pour les droits linguistiques. Parmi les initiatives les plus récentes, deux semblent particulièrement prometteuses. En 2003, le Conseil de l'aménagement linguistique du Nouveau-Brunswick a été mis sur pied (le CALNB, devenu le CAFNB « Conseil pour l'aménagement du français au Nouveau-Brunswick »). Et, depuis le printemps 2006, des démarches sérieuses sont en cours pour doter l’Acadie d’un organisme politique de « gouvernance » à la fois plus représentatif et plus performant.