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La Révolution tranquille représente une période de transformation et d’effervescence sur les plans politique, économique et social, qui va modeler durablement le Québec contemporain. Les mots clés de l’époque sont « libération économique », « rattrapage » et « maîtres chez nous ». La Révolution tranquille marque notamment le début de l’interventionnisme au Québec, la prise en charge de leur économie par les Canadiens français, le passage à l’âge adulte des baby-boomers, l’effondrement de la pratique religieuse, la première élection et la première nomination à titre de ministre d’une femme, la montée de la question nationale et l’essor de l’indépendantisme. On aurait cependant tort de penser que le Québec bascule dans la modernité après 1960; il formait déjà, à bien des égards, une société moderne. Le Québec était, en effet, industrialisé et urbanisé depuis l’entre-deux-guerres. Il reste que la Révolution tranquille constitue un tournant sans précédent dans l’histoire du Québec.
La périodisation de la Révolution tranquille fait l’objet de nombreux débats. Pour certains, elle se limite aux deux mandats du Parti libéral de Jean Lesage (1960-1966). D’autres estiment que la période se termine en 1964, quand les réformes de « l’équipe du tonnerre » – dont les acteurs les plus importants sont Georges-Émile Lapalme, René Lévesque, Paul Gérin-Lajoie et Pierre Laporte – commencent à s’essouffler. Certains encore font commencer la Révolution tranquille avec la mort de Maurice Duplessis ou l’arrivée au pouvoir de Paul Sauvé à la tête de l’Union nationale. Pour d’autres, elle est plutôt le fait des années 1960 et s’achève avec la prise du pouvoir des libéraux de Robert Bourassa, en 1970. Au sens très large, la Révolution tranquille couvre les années 1960-1982, ce qui correspond à la période d’expansion de l’État québécois. Le non des Québécois au référendum de 1980 sur le mandat de négocier la souveraineté-association ainsi que la crise économique de 1982 en marqueraient la fin.
Le père de la Révolution tranquille est plutôt Georges-Émile Lapalme que son successeur à la tête du Parti libéral du Québec, Jean Lesage, plus conservateur. En 1959, Lapalme rédige Pour une politique, véritable programme des révolutionnaires tranquilles. Lesage, pour sa part, s’est souvent opposé, avant de se rallier, aux idées progressistes de ses collègues. Par exemple, il s’était élevé contre la création du ministère de l’Éducation, la nationalisation complète de l’hydroélectricité et la syndicalisation de la fonction publique.
Cette période est marquée par un réalignement des partis, qui s’opère dès Paul Sauvé. Les divers gouvernements qui se succèdent alors à Québec assurent une remarquable continuité politique. En effet, tous les partis tour à tour au pouvoir durant la période 1960-1980 épousent un nationalisme réformiste qui tranche avec la période précédente. Ils prônent également une plus grande modernisation sur le plan social. C’est l’attitude à l’égard de la question nationale qui détermine le clivage politique, c’est-à-dire ce qui différencie les partis entre eux. Avec la montée du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) et le Front de libération du Québec (FLQ), le discours nationaliste se radicalise. L’Union nationale, sous Daniel Johnson père, ira jusqu’à réclamer « l’égalité ou l’indépendance » afin de séduire les jeunes indépendantistes. La montée du nationalisme au sein du Parti libéral du Québec provoquera la scission de ce parti. René Lévesque, ancien ministre-vedette du Parti libéral, sera expulsé et créera le Mouvement souveraineté-association (MSA) le 19 novembre 1967 et, ensuite, le Parti québécois (PQ) le 21 avril 1968.
La Révolution tranquille marque un tournant dans l’histoire de l’interventionnisme au Québec. Avant cette période, sauf peut-être en ce qui concerne l’administration libérale d’Adélard Godbout (1939-1944), l’État se mêlait très peu du domaine économique et préférait laisser le domaine social, notamment les questions de santé et d’éducation, aux communautés religieuses. Après 1960, l’État québécois va devenir aussi interventionniste que les gouvernements Taschereau (1920-1936) et Duplessis (1936-1939 et 1944-1959) étaient anti-interventionnistes.
Outre la mise sur pied du Conseil d’orientation économique du Québec en 1961, plusieurs ministères sont créés : Richesses naturelles, Affaires culturelles, Revenu en 1961; Éducation en 1964; Affaires intergouvernementales en 1967, Institutions financières, Compagnies et Coopératives, Immigration en 1968; Fonction publique en 1969. Non seulement l’État québécois achève-t-il la nationalisation de l’électricité en 1963, mais il fonde aussi de nombreuses sociétés d’État comme, en 1962, la Société générale de financement (SGF), en 1964, la Société de sidérurgie du Québec (Sidbec) et, en 1965, la Caisse de dépôt et placement.
La stratégie étatique du gouvernement du Québec comporte deux volets principaux pendant la Révolution tranquille. Le gouvernement Lesage utilise les leviers de l’État pour favoriser la croissance économique et s’assure que les fruits de cette croissance favorisent les Canadiens français, jusque-là maintenus au bas de l’échelle économique. Comme le signale la Commission fédérale d’enquête Laurendeau-Dunton sur le bilinguisme et le biculturalisme, les Canadiens français de sexe masculin perçoivent, en 1961, un revenu de travail moyen de 35 % inférieur à celui des anglophones; à la même époque, au Québec, 83 % des postes de cadre sont occupés par des anglophones. Ces facteurs renforcent l’idée selon laquelle les Canadiens français sont « nés pour un petit pain ».
Dans le domaine de l’éducation, la situation est encore plus catastrophique. Les « nègres blancs d’Amérique », selon l’expression de Pierre Vallières, forment la société la moins scolarisée de l’Amérique du Nord. En effet, les Québécois de sexe masculin nés en 1926, donc avant la Révolution tranquille, ont, en moyenne, 9,0 années d’études comparativement à 10,9 chez les Ontariens et 12,1 parmi la population blanche américaine. Même les Afro-Américains font mieux que les Québécois, puisqu’ils cumulent 9,4 années d’études en moyenne! Cependant, les Québécois nés en 1966, c’est-à-dire les enfants de la Révolution tranquille, se trouvent aujourd’hui parmi les meilleurs du continent. Ils ont une moyenne de 14,0 années d’études par rapport à 13,9 en Ontario, à 12,9 pour la population blanche américaine et à 12,7 chez les Afro-Américains. La Loi sur la fréquentation scolaire obligatoire, de 6 à 14 ans, adoptée en 1943 par le gouvernement libéral d’Adélard Godbout, et la création du ministère de l’Éducation par Paul Gérin-Lajoie sont responsables de cette forte progression.
La Révolution tranquille au Québec s’intègre dans une période universelle de changements économiques, politiques et sociaux. C’est l’emballement pour la société de consommation, les Kennedy, Woodstock, les Beatles, la révolution sexuelle… C’est également Mai 68 en France et les émeutes raciales aux États-Unis. La remise en question de cette période débute avec le retour du conservatisme dans les années 1980.