Au Canada français, l’édition commence avec l’introduction de la première presse à imprimer dans la ville de Québec en 1764. Les presses sont utilisées pour la production de gazettes officielles, de bulletins, d’affiches, d’almanachs et de journaux. Le livre n’arrive que relativement loin dans les carnets de commande des ateliers et demeure longtemps un produit dérivé du périodique. La littérature est publiée par tranches dans les journaux avant d’être offerte en édition séparée et, dans la plupart des cas, c’est l’auteur qui prend l’initiative de transformer son texte en livre et qui en assume le financement et la diffusion.
En même temps que la montée en puissance du libraire-éditeur, apparaissent à la fin du 19e siècle les premières collections de livres canadiens. Elles sont commanditées par l’État et destinées au marché scolaire. Le Département de l’Instruction publique (DIP) fait alors éditer, imprimer et distribuer les ouvrages les plus représentatifs de la jeune littérature canadienne. Il finance ainsi une production locale pour un marché qu’il a lui-même contribué à mettre en place au milieu des années 1850 en offrant des livres de prix aux élèves les plus méritants.
Au début du XXe siècle, l’importation massive de livres français favorise l’essor de la librairie de gros qui se voit confier la production de collections patrimoniales en partie rachetées par le gouvernement. Les libraires remplacent dès lors les imprimeurs comme premiers éditeurs de livres canadiens. L’essor spectaculaire de la Librairie Beauchemin et de Granger Frères entre 1900 et 1920 illustre cette nouvelle réalité. Malgré des efforts remarquables pour développer la littérature canadienne, les libraires demeurent de simples exécutants car la plupart des œuvres littéraires qu’ils publient sont financées par les auteurs eux-mêmes ou avec l’aide de souscripteurs; par ailleurs leurs collections de livres de prix sont vendues à l’avance et achetées en lots par le DIP et les commissions scolaires. Il n’y a donc pas encore d’éditeurs au sens propre du terme, c’est-à-dire quelqu’un qui conçoit un programme de publication, recrute des auteurs, crée des collections et prend entièrement en charge le financement et la promotion des œuvres. Ce type de professionnel n’apparaît au Québec qu’au début des années 1920. Son entrée en scène est étroitement associée à la montée du nationalisme canadien-français et au développement de la société de consommation. La nécessité d’une instance médiatrice entre l’offre des créateurs et les demandes d’un public de plus en plus important se fait sentir.
Le rôle de l’éditeur dans la transmission des idées et la formation du goût des lecteurs se confirme avec le succès des premières maisons d’édition de l’entre-deux-guerres. Ces maisons sont dirigées par des hommes qui sont à la fois des publicistes, des hommes d’affaires et des hommes de lettres tels Albert Lévesque (Librairie d’Action canadienne-française), Édouard Garand (Éditions Édouard Garand), Louis Carrier (Éditions du Mercure/Mercury Press), Albert Pelletier (Éditions du Totem) et Eugène Achard (Librairie générale canadienne). L’éditeur devient alors le nouveau médiateur d’un champ littéraire de plus en plus autonome. Avec lui, le rapport à l’auteur et au texte se modifie. Là où le libraire et l’imprimeur voyaient un client, l’éditeur voit un complice et un double. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, la nouvelle génération d’éditeurs qui prend la relève est tournée vers les grands débats politiques et idéologiques de l’heure. Plusieurs firmes, comme les Éditions Variétés, les Éditions Bernard Valiquette, les Éditions de l’Arbre et Fides, profitent de l’interruption des relations commerciales avec la France pour jouer un rôle de suppléance dans la francophonie mondiale. Dans l’après-guerre naissent d’autres entreprises comme le Cercle du livre de France et l’Institut littéraire du Québec qui participent directement à l’émancipation de la littérature canadienne-française grâce à la création de clubs de livres.
Les années 1960 et 1970 favorisent, elles aussi, l’éclosion de nouvelles maisons d’édition qui participent aux grands changements de la Révolution tranquille. Le livre est alors au centre d’une vaste entreprise de relecture du passé, de réécriture de l’histoire et de réforme des institutions politiques et culturelles. Les Éditions du Jour, les Éditions de l’Homme, Hurtubise HMH, L’Hexagone et Leméac font partie des nouvelles structures qui participent à l’élaboration d’un discours et d’un espace public où se trouve redéfinie l’identité culturelle du Canada français désormais recentré sur le Québec. Par leur action militante, les Éditions Parti pris contribuent notamment à la reconnaissance de cette nouvelle identité collective qui n’est plus assimilée à une ethnie mais à une nation et à un espace géopolitique. Ainsi, dans le discours social, le mot Québécois remplace-t-il progressivement celui de Canadien français.
Dans les deux décennies suivantes, l’édition canadienne est confrontée aux nouveaux défis de la mondialisation. Avec le soutien des pouvoirs publics et grâce au Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition du gouvernement fédéral, au Conseil des arts du Canada et à la Loi sur le développement des entreprises québécoises dans le domaine du livre (Lois refondues du Québec, chapitre D-8.1, connue sous le nom de loi 51), les maisons d’édition des années 1980 se lancent à la conquête de leur propre marché. Les éditeurs investissent dans des types de production qui étaient autrefois la chasse gardée des maisons européennes. Le lancement des dictionnaires visuels des Éditions Québec Amérique, des romans pour adolescents de La courte échelle, des guides de voyage des Éditions Ulysse, des livres pratiques des Éditions de l’Homme et des beaux livres des éditions Libre Expression témoigne de cette stratégie d’appropriation à la fois culturelle et commerciale dans une industrie de plus en plus mondialisée. La coédition, la vente de droits et l’exportation font partie des nouvelles stratégies des maisons des années 2000 tournées vers les marchés extérieurs. Cette décennie est également caractérisée par un phénomène de concentration avec le rachat de maisons d’édition par de grandes sociétés de communication.