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Les baies et les autres petits fruits du Québec

Paul-Louis Martin

Professeur retraité
Université du Québec à Trois-Rivières

« Parce qu’ils ne sont cultivés ni taillés, ne sont les dits raisins ni si doux ni si gros que les nôtres » (Jacques Cartier, 1542). Cette observation de l’explorateur malouin, à qui les Amérindiens offrent un panier de raisins sauvages, révèle la différence fondamentale qui surgit entre l’Ancien et le Nouveau Monde au moment des premiers contacts : l’Européen s’estime cultivé, civilisé et convenablement habillé, il produit et cuit ses aliments, domine les ressources et rend grâce à un seul Dieu; l’Autochtone est perçu comme un sauvage, un nomade, qui va presque nu, vêtu de peaux de bêtes, qui chasse, pêche et mange cru, qui cueille des fruits sauvages et ne sait pas labourer la terre. Il est en somme le « barbare », le païen, qu’il conviendra de civiliser, d’habiller et d’instruire dans la religion chrétienne pour en faire « un bon sujet du Roy », rapportera encore Cartier.

Une « échelle du vivant » encore présente…

Outre ces préjugés, les Européens des 16e et 17e siècles traînent dans leurs bagages les reliquats d’un système de représentation de l’univers vivant, étroitement calqué sur l’organisation de la société. Dans cette grande chaîne de l’être, évidemment d’origine divine, on trouve une « échelle du vivant », notion élaborée à l’époque médiévale et prenant appui sur une sorte de code qui définit la nature noble, médiocre ou vile d’un aliment, selon un principe vertical. S’ensuivent des prescriptions diététiques et des usages alimentaires qui s’ordonnent, selon des critères particuliers à chaque règne, animal et végétal, et qui conviennent au statut et à la position sociale des gens : les mollusques et les invertébrés, peu mobiles, sont moins estimés que les porcs fouinant la terre, eux-mêmes moins nobles que le grand gibier, haut sur pattes, ou les volailles et les oiseaux de haut vol, comme cygnes, grues et faisans qui seuls conviennent aux tables aristocratiques et royales; quant au monde végétal, les bulbes – oignons, échalotes et poireaux – ainsi que les racines, telles carottes et raves, sont peu appréciés et composent les repas ordinaires des vilains, des masses populaires. Suivent les herbes en pots et les plantes potagères, par exemple les épinards et les choux, puis les arbustes à fruits portant gadelles ou groseilles et autres baies. Au sommet de cet ordonnancement des végétaux se situent les arbres fruitiers qui offrent l’avantage de pousser loin du sol et de transformer les humeurs froides et brutes de la terre en fruits de haute volée : voilà pourquoi les poires, pêches, pommes, prunes et cerises conviennent beaucoup mieux aux classes sociales élevées, tandis qu’au bas de l’échelle, les fruits des plantes basses et rampantes, souvent sauvages, suscitent fort peu d’estime et sont réservés aux petites gens.

À la lumière d’un tel code, on comprend mieux, d’une part, les réflexes des premiers arrivants, qui s’empressent d’introduire les arbres fruitiers de France et, d’autre part, certains jugements peu flatteurs que portent quelques observateurs sur les ressources fruitières du nouveau pays. Ainsi, dès le début du 17e siècle, tant en Acadie qu’à Québec, surgissent aux abords des premières habitations des jardins plantés d’arbustes et d’arbres fruitiers apportés de France : en 1608, Champlain plante des vignes autour de son Abitation; Louis Hébert élève quelques pommiers dans son jardin, dès 1617; quant au couvent des pères récollets, il comprend un petit verger dès 1620, si bien qu’un peu plus tard, Champlain notera l’arrivée du printemps en observant que « les pommiers de France que l’on y avoit transplantez, comme aussi les pruniers, boutonnoient » (1624). Cette introduction de plantes européennes se poursuivra sans interruption tout au long du premier siècle de la colonisation avec l’aide, au premier rang, des « importateurs » de fruits « nobles », des membres de l’élite coloniale que sont les administrateurs, les grands bourgeois, les marchands et les communautés religieuses. Leurs jardins et vergers permettent en effet aux jésuites, sulpiciens, ursulines, augustines et dames de la Congrégation d’assurer en partie leur subsistance, comme l’exige la règle conventuelle établie par saint Benoît, mais ils participent aussi de l’effort missionnaire qui vise à sédentariser et à acculturer les « Sauvages », en leur apprenant les rudiments de l’horticulture et de l’arboriculture fruitières.

L’apprivoisement

Les observations des premiers chroniqueurs ne laissent aucun doute : les nouveaux arrivants n’apprécient guère la plupart des baies et des autres petits fruits que consomment les Autochtones. Le récollet Sagard signale ainsi, en 1623, que les Hurons cueillent des « graines rouges » plutôt amères (les airelles vignes-d’Ida) qu’ils mangent crues; il n’apprécie pas davantage les cenelles (fruits de l’aubépine), ces « petites pommes dures et grosses comme avelines, mais non pas guère bonnes »; le jésuite Le Jeune, quant à lui, les trouve « fort douces, mais fort petites ». D’après Pierre Boucher, en 1663, les prunes sauvages « sont d’un assez bon goût mais non pas toutes fois si bon que celles de France », les groseilles sont « les unes comme en France, les autres toutes plaines de piquerons », et il y a quantité d’autres petits fruits qui « ne sont pas beaucoup exquis mais se mangent faute d’autres ». Cependant, tous les auteurs, sans exception depuis Marc Lescarbot, en 1604, vantent l’abondance et le fort bon goût des fraises et des framboises sauvages, fruits qu’ils connaissaient déjà, et s’étonnent de la saveur des bleuets dont ils découvrent le goût délicat et les mannes incroyables.

Le changement d’attitude à l’égard des nouvelles ressources fruitières se dessine d’abord chez les simples colons : moins embarrassés par les préjugés et préoccupés avant tout d’assurer leur subsistance, ils ont tôt fait d’adopter les baies et autres petits fruits sauvages que leur offre gratuitement une nature généreuse. Puis, progressivement, ces nouvelles habitudes alimentaires gagnent les autres catégories sociales, si bien qu’au tournant du 18e siècle, même les tables bourgeoises offrent à leurs convives, outre les baies et les autres petits fruits déjà mentionnés, les petites poires (ou « saskatoons », fruits de l’amélanchier du Canada), les « chicoutés » (plaquebières ou mûres des marais), les « pimbinas » (viornes trilobées), les « maskous » (ou « maskouabinas », fruits du sorbier d’Amérique), les graines noires (camarines noires), les noisettes (fruits du coudrier) et la plupart des autres fruits sauvages. La consommation de ces petits fruits du pays connaîtra une popularité encore plus grande à partir des années 1690, quand sera connue et généralisée la production du sucre d’érable, utilisé comme accompagnement des desserts fruités et agent de conservation des fruits confits.

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