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Depuis qu’il existe des dictionnaires du français, notre langue a connu des rectifications orthographiques. Dès 1718, chaque édition du Dictionnaire de l’Académie française compte un certain nombre de modifications graphiques par rapport à l’édition précédente. Par exemple, c’est dans l’édition de 1740 qu’est apparu l’accent circonflexe pour remplacer le s à l’intérieur des mots (fenêtre au lieu de fenestre) et que près d’un mot sur trois a changé de graphie. À la demande du premier ministre français, le Conseil supérieur de la langue française de France a proposé en 1990 les plus récentes rectifications, qui ont reçu l’appui de l’Académie française, du Conseil de la langue française du Québec et du Conseil supérieur de la langue française de la Communauté française de Belgique.
Les rectifications de 1990, qui s’adressent aux usagers du français écrit, mais surtout aux lexicographes et aux créateurs de néologismes, visent à éliminer certaines incohérences pour six types de problèmes orthographiques : le trait d’union, le pluriel des noms composés ou étrangers, les accents et le tréma, les consonnes doubles, diverses autres anomalies et l’accord du participe passé. Les noms propres et leurs dérivés ne sont pas touchés par ces changements.
On soude maintenant la plupart des composés formés d’onomatopées ou de mots d’origine étrangère (mélimélo, weekend, mais non bip-bip, high-tech) ainsi qu’une sélection d’autres composés (hautparleur, porteclé, mais nouveau-né, porte-parole). Une fois soudés, ces mots prennent la marque habituelle du pluriel. De plus, on réunit par un trait d’union tous les numéraux (trois-cent-vingt-et-un-mille).
Les noms composés avec trait d’union formés d’un verbe ou d’une préposition et d’un nom commun sans déterminant prennent la marque du pluriel au deuxième élément, et ce, seulement et toujours lorsqu’ils sont au pluriel (un lave-vaisselle, des lave-vaisselles; un sans-abri, des sans-abris). Cette règle ne s’applique pas quand le second élément n’est pas un nom (un essuie-tout, des essuie-tout). La plupart des mots d’origine étrangère suivent les règles habituelles du pluriel en français (des erratas, des proratas, mais non des amen, des mea-culpa).
On écrit è plutôt que é devant une syllabe se terminant par un e muet ou prononcé [ə] dans certains mots (cèleri, règlementation), à l’exception des mots commençant par é- (élevage) ou par les préfixes dé- ou pré- (déceler, prévenir) et des dérivés de médecin. On fait de même dans les verbes comme céder au futur et au conditionnel (je coopèrerai, il pénètrerait). Les verbes qui se terminent par -e à la 1re personne transforment ce e en è quand ils sont suivis du pronom je (demandè-je, dussè-je). Il n’y a plus d’accent circonflexe sur les lettres i et u (accroitre, maitre, piqure, une transaction sure), à l’exception des finales du passé simple (nous fûmes, vous prîtes), du subjonctif imparfait (qu’il pût) et plus-que-parfait (qu’il eût su), de la conjugaison de croître, de jeûne, ainsi que du masculin singulier dû (de devoir), mûr (l’adjectif) et sûr (au sens de « certain »). Le tréma est déplacé sur la lettre u dans les séquences -güi- et -güe- (ambigüité, exigüe) et il est ajouté dans argüer et gageüre. La plupart des mots d’origine étrangère suivent les règles d’accentuation du français (pédigrée, vadémécum, mais non althaea, habanera).
Les verbes en –eler et en –eter ainsi que leurs dérivés en –ement s’écrivent avec è et une consonne simple devant une syllabe contenant un e muet (j’épèle, il époussètera, amoncèlement), sauf appeler, jeter et leurs dérivés; mais on garde épellation, scellement de sceller, etc. Il n’y a plus qu’une consonne après une syllabe se terminant par e prononcé [ə] (dentelier, interpeler, lunetier), mais on garde allumettier, cenellier, etc. De même, il n’y a qu’un l dans les finales traditionnellement en –olle (corole, trole), sauf folle, molle, colle et ses composés.
Le second i est éliminé des finales autrefois en –illier ou en –illière où il ne s’entend pas (joailler, serpillère), mais on le garde dans bougainvillier, groseillier, millier, etc. Des différences orthographiques à l’intérieur de certaines familles de mots sont éliminées : bonhommie comme bonhomme, boursouffler et ses dérivés comme souffler, cahutte comme hutte, charriot comme charrier, combattivité et ses dérivés comme combattre, déciller comme cil, embattre comme battre, imbécilité comme imbécile, innommé comme nommer, persiffler et ses dérivés comme siffler, prudhommie et ses dérivés comme prudhomme, ventail au lieu de vantail comme vent. D’autres familles gardent toutefois leurs différences (traditionnel, traditionaliste). Enfin, quelques mots ont vu leur orthographe modifiée, notamment absout, dissout, appâts (anciennement appas), assoir, rassoir, sursoir, chaussetrappe, cuisseau (anciennement cuissot), douçâtre, exéma, guilde, levreau, nénufar, ognon, pagaille, recéler, réfréner, relai, saccarine et ses dérivés.
Le participe passé laissé suivi d’un infinitif est le seul participe dont l’accord a été rectifié : il reste invariable, que le complément direct placé devant soit ou non le sujet de l’infinitif (les fleurs que nous avons laissé flétrir).
Si les rectifications de 1990 présentent un certain nombre de règles générales et une liste limitative de graphies rectifiées, elles recommandent aux lexicographes d’appliquer ces principes (comme l’accentuation des mots empruntés) et quelques autres (telle la soudure des composés de contre ou d’entre) dans leurs ouvrages futurs. Ainsi, d’autres mots (néologismes) pourraient s’ajouter aux listes des graphies régularisées.
Les graphies rectifiées apparaissent aujourd’hui dans un certain nombre de publications à travers la francophonie, incluant le dictionnaire Usito, et dans les grands correcteurs orthographiques informatisés. Au Québec, l’Office québécois de la langue française estime qu’ « en cette période de transition, ni les graphies traditionnelles ni les nouvelles graphies proposées ne doivent être considérées comme fautives ». Le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec demande qu’une graphie rectifiée apparaissant dans un ouvrage de référence soit considérée au même titre que toute autre graphie y figurant, c’est-à-dire comme correcte. Cet ouvrage (Usito) mentionne pour sa part toutes les graphies rectifiées. Somme toute, c’est l’usage que les francophones feront de ces graphies qui déterminera leur avenir.