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Ces deux mots reflètent une prise de conscience de la localisation d’une partie du monde dans les pays froids.
Les écrits descriptifs et scientifiques emploient les termes arctique, boréal, nord, polaire et septentrional. Si une concentration du vocabulaire autour du mot nord favorise l’unité sémantique, les autres mots souches continuent d’être employés.
Le terme nord s’est enrichi en Europe des migrations culturelles qui lui étaient propres. La première, d’orientation nord-sud entre les mondes scandinave et méditerranéen, rend compte du fait que les principales langues employant l’étymon nord sont germaniques et romanes. Le second axe migratoire de ce vocabulaire est double : l’ouest-est de l’Europe vers l’Asie, l’est-ouest de l’Europe vers l’Amérique. La mobilité d’un tel langage, adapté au continent de départ, cause une certaine difficulté de compréhension dans le nord du Canada et de la Sibérie, régions au climat plus rigoureux que celui de la Scandinavie.
À l’origine, le mot nordique ne s’appliquait qu’à l’Europe septentrionale, qu’aux langues, qu’aux pays et qu’à la population de la région. Ces spécificités ethnologiques étaient trop nationales pour s’appliquer telles quelles à tout le monde polaire. Peu après le milieu du 20e siècle, des géographes québécois proposent un élargissement de signification. Au Québec, le nouveau sens de nordique entre même dans le langage administratif par un arrêté gouvernemental de 1961. À la dimension euronordique auparavant unique s’ajoute l’espace circumnordique, adapté à chacun des pays de la zone froide. L’extension sémantique ne porte aucunement ombrage aux désignations finno-scandinaves antérieures. Comme avant, on dit pays nordiques, Europe nordique, ou Norden, langues nordiques, ski nordique, etc.
Nordicité dérive directement de nordique, mais pas au sens européen. En janvier 1965, des attestations apparaissent dans des revues, tant à Grenoble qu’à Vancouver. Au cours des années 1980, de grands dictionnaires de langue l’accueillent après l’introduction de son usage par les géographes canadiens. Plus tard, des lexicographes de langue anglaise considèrent nordicity comme un canadianism.
Le terme nordicité, qui exprime surtout une désignation, est un instrument de connaissance. Selon les besoins, il s’applique à tous les thèmes naturels, techniques et humains touchant les très hautes latitudes ainsi que leurs franges au climat moins rigoureux. Au mieux, les chercheurs conceptualisent la totalité du Nord. L’idée de nordicité se manifeste par un maniement facile qui permet de saisir le degré nordiciste de chaque situation. Ainsi peuvent être quantitativement évaluées les nordicités anciennes, les nordicités contemporaines et les nordicités prospectives.
Compte tenu de son cadre planétaire, la nordicité se rapporte à des systèmes de pensée, à des savoirs, à des vocabulaires, à des représentations artistiques et littéraires, à des expressions d’opinion, à des applications politicoéconomiques ainsi qu’aux manières d’être un pays du Nord et des citoyens du Nord.
Pour les non-autochtones, parler du Nord en évitant toute nomenclature appropriée, c’est-à-dire en gardant l’usage des mots du Sud, irait jusqu’à signifier que leur langage ne reflète pas une connaissance réelle du sujet.
Depuis 50 ans, la fréquence de l’emploi des mots nord, nordique et nordicité augmente, notamment dans des domaines comme la météo, le sport, la littérature, les recherches et les projets scientifiques. À partir du seul terme nordicité se sont construites près de 250 unités lexicales. Quant à la forme, ce corpus ouvert à l’innovation rassemble des préfixations (paléonordicité), des compositions (Sommet mondial de la nordicité) et des qualificatifs accolés au mot de base (nordicité saisonnière, qui désigne l’hiver dans les pays tempérés). Sur le plan du contenu, le domaine sémantique comprend des catégories respectivement consacrées à l’espace (nordicité québécoise; nordicité sibérienne), aux modes et aux champs de connaissance (nordicité autochtone; nordicité touristique), au moment ou à la durée (nordicité préhistorique; nordicité actuelle) et à l’évaluation des interventions humaines (nordicité déficiente; nordicité appropriée.
Naissent aussi des expressions de forme légèrement différente mais complémentaire pour ce qui est de la désignation : nordistes (gens du Nord); Nordiques (équipe de hockey); norditude (mouvement artistique).
Même si la nordicité demeure, dans sa dimension à la fois physique et culturelle, une notion insuffisamment assimilée par les Québécois, elle se présente comme un signe rassembleur.
Le Québec est composé de deux mégaterritoires : un Québec méridional, ou Québec laurentien, et un Québec septentrional, qui occupe la majeure partie de la superficie. Assez près de Montréal, le Nord du curé Labelle ainsi que Le train du Nord de Félix Leclerc, malgré la présence du mot Nord, sont situés dans un grand espace sudiste, peu éloigné du Saint-Laurent. Même si le Québec laurentien est le siège du gouvernement et l'habitat de la quasi-totalité de la population, il devient un hyperonyme quand on s’en sert pour décrire l’ensemble du Québec. La région proprement dite du Nord – le Québec nordique – se situe au-delà du 50e degré de latitude et s’étire de la Moyenne-Côte-Nord à l’Abitibi septentrionale. Plus ou moins, elle correspond aux anciennes désignations Ungava et Nouveau-Québec et, depuis 1975, au Québec administré selon les conventions conclues avec les peuples autochtones. Le Québec septentrional comprend deux aires culturelles : au sud, la façade est de la baie James, ou l’Eeyou Istchee, à prépondérance crie; au nord, le Nunavik, à prépondérance inuite.
Le Nord du Québec est lui-même différencié en fonction de ses degrés de nordicité : le Moyen-Nord, jouxtant le Québec méridional, est caractérisé par la forêt boréale, ou taïga, fleurie de tourbières bien rendues par l’artiste multidisciplinaire René Derouin; le Grand-Nord, auquel les mots arctique, inuit et toundra conviennent tout à fait.
L’importance de la partie septentrionale du Québec doit être soulignée; elle domine par l’espace (environ 70 % de l’ensemble du territoire), un niveau élevé de déperdition de chaleur, plusieurs langues autochtones, des productions énergétiques vitales pour le Québec du sud ainsi que des expériences administratives originales, notamment à l’égard des Inuits. À l’échelle canadienne, le Nord fait du Québec la province la plus nordique.
Le Québec méridional et le Québec septentrional sont insuffisamment associés l’un à l’autre. Mieux reconnaître les désignations et les phénomènes relatifs au Nord pourrait conduire à une nouvelle façon de considérer l’identité d’un espace québécois total, c’est-à-dire l’identité du Québec même.
Le Québec se présente comme l’État francophone du monde qui exprime le mieux la nordicité. Ce caractère lui donne l’occasion d’exploiter une originalité langagière par rapport au français européen.