Mise à jour par Noëlle Guilloton, novembre 2022
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Parmi toutes les aires de la francophonie, c’est d’abord et surtout au Québec que les appellations de personne au féminin ont connu leur essor. Ce développement linguistique original – lexical et grammatical à la fois – a une origine sociale : la présence grandissante des femmes dans le monde du travail et à des fonctions jusque-là réservées, dans les faits du moins, aux hommes. L’égalité professionnelle commandait de les nommer explicitement dans leur nouvelle activité, ce que les ressources de la langue permettent tout à fait. Puis, du domaine morpholexical, on est passé à la dimension phraséologique et discursive : après avoir proposé des féminins, on s’est penché sur leur intégration dans les textes et sur la pratique d’une écriture qui vise l’inclusivité. Voilà un exemple éloquent d’évolution rapide des usages linguistiques.
C’est vers la fin des années 1970 que, sous l’effet du féminisme agissant, des organismes publics, des associations et des milieux de travail divers expriment le besoin de disposer d’appellations au féminin pour désigner toutes les professions et les femmes qui les occupent. Le principe selon lequel, de façon générale, le genre grammatical est fonction du sexe dans les désignations des êtres animés – et des humains en particulier – devait s’appliquer.
Répondant à cette demande collective, l’Office de la langue française d'alors recommande, dès 1979, l’utilisation des formes féminines des appellations d’emploi « dans tous les cas possibles ». Des administrations, des universités ainsi que de grandes entreprises emboîtent le pas et publient les listes de leurs appellations d’emploi et de fonction au masculin et au féminin, suivant en cela les recommandations linguistiques officielles et se basant sur les études et les travaux de l’Office de la langue française.
La Classification nationale des professions (CNP 2011) répertorie plus de 40 000 appellations d’emploi qui, toutes, ont une forme masculine et une forme féminine.
La plupart des féminins de noms de métier et de fonction sont réguliers, même s’ils ne sont pas encore tous attestés dans les dictionnaires. Ils suivent donc les règles habituelles de formation du féminin : quand ils ne sont pas épicènes (même forme au masculin et au féminin : un ou une enfant, un ou une élève, un ou une architecte), addition d’un e (un client, une cliente) avec, le cas échéant, redoublement de la consonne finale du masculin (un technicien, une technicienne), ajout d’un accent (un huissier, une huissière) ou encore addition ou modification de suffixe (un maire, une mairesse; un ambassadeur, une ambassadrice), notamment. Nombre d’entre eux ont été en usage jusqu’au 16e siècle, mais avaient pour ainsi dire disparu par la suite – « petits métiers » exceptés – sous l’effet de changements sociaux. Le public contemporain, à de rares exceptions près, a fait bon accueil à ces « nouvelles » formes, même à celles qui désignent des fonctions prestigieuses, et les emploie volontiers, suivant en cela l’exemple des médias et des services publics. Ainsi, la juge, la députée, la sénatrice, voire la gouverneure générale, ne font plus sourciller.
Les rares appellations qui suscitent une certaine réticence sont quelques-unes qui se terminent en -euse à cause de la péjoration souvent attachée à cette terminaison jugée peu euphonique. C’est pourquoi on a vu se répandre la finale en -eure (une docteure, une ingénieure), propre aux noms qui viennent d’un superlatif latin (une supérieure, une prieure), avec certains abus toutefois (ayant produit des doubles emplois comme une *directeure, une *chercheure, une *recteure) dus au désir de pratiquer une féminisation la plus discrète et la moins audible possible. Toutefois, la tendance inverse se manifeste actuellement en faveur d’autrice qui tend à remplacer auteure. Quant aux féminins en -esse (suffixe qui a déjà été très productif), ils sont considérés comme vieillis. Ainsi, on a souvent accordé la préférence à une forme épicène (une poète plutôt que une poétesse), bien que une mairesse l’ait généralement emporté sur une maire, sans doute pour des raisons d’homophonie). La dévalorisation est un facteur qui a pu jouer à l’encontre de certains féminins (une entraîneuse [ou entraineuse], une chauffeuse, une soudeuse, une arpenteuse); c’est surtout un indice du jugement social porté sur certaines activités « féminines » et sur le fait que les noms au féminin désignent aussi des objets, des machines ou des animaux, ce qui est ressenti plus fortement que lorsqu’il s’agit de noms masculins. On a aussi invoqué le fait que le féminin désignait « la femme de » (la consule, femme du consul, la pharmacienne, femme du pharmacien), mais ces considérations sont complètement dépassées. Peu nombreux sont les cas gênants qui subsistent et qui justifient des exceptions (une médecin). Quoi qu’il en soit, on a pu constater que la nature des empêchements à la féminisation des appellations de personne n’était pas linguistique, mais plutôt psychosociale.
De plus en plus largement répertoriés désormais dans les ouvrages usuels – le présent dictionnaire en témoigne – les féminins des noms de profession sont aussi à la disposition du grand public dans des répertoires spécialisés, imprimés et électroniques, notamment dans les publications de l’Office québécois de la langue française.
Si le Québec a été le chef de file en matière de féminisation, la Belgique, la Suisse et la France se sont mises au diapason et ont publié leurs propres répertoires d’appellations au féminin dans les années 1990. Quelques divergences ont été notées dans certains cas (une auteur/une auteure/une autrice; une procureur/une procureure/une procureuse, etc.), mais le principe de désigner une femme par un nom de profession au féminin semble maintenant admis et de plus en plus pratiqué à l'écrit comme à l'oral. En outre, le sujet désormais appelé écriture inclusive continue à intéresser les organismes linguistiques officiels de la francophonie.
L’intégration rédactionnelle des appellations au féminin ou, de façon plus générale, la représentation de toutes les personnes dans les écrits fait l’objet de réflexions et de travaux qui se concrétisent dans les guides d’écriture inclusive dont se dotent les organisations. On sait que la note liminaire indiquant que le masculin vaut pour les deux genres n'est pas satisfaisante et que l’emploi de formes hybrides et tronquées avec points médians, virgules, traits d’union ou barres obliques (*étudiant•e•s,*commerçant.te, te; *électeurs-trices; *technicien/ne) pose diverses difficultés de lecture et de prononciation. Dans les tableaux et les cas où l’espace est restreint, on peut avoir recours aux parenthèses ou aux crochets pour indiquer les marques de genre : les candidat(e)s, un[e] informaticien[ne]. Quant aux nouveaux pronoms non genrés, comme iel ou celleux, on ne sait quels accords ils commandent. Les bonnes pratiques en écriture inclusive consistent plutôt en un usage judicieux et modéré des doublets (les électeurs et [les] électrices, la présidente ou le président) ainsi qu’en une variété de procédés de rédaction réguliers, dont l’emploi de diverses structures syntaxiques et de formulations neutres, toutes conformes à l’usage syntaxique, orthographique et typographique. La grammaticalité et l’intelligibilité sont ainsi assurées, et la clarté, la cohérence ainsi que la précision demeurent les qualités textuelles indispensables.