Table des matières
Depuis quelques décennies, l’anglais parlé et écrit au Québec se distingue de plus en plus de l’anglais canadien et international, notamment par l’influence du français sur le lexique. Bien que des emprunts au français du Canada en anglais canadien aient été constatés dès l’époque coloniale, leur importance était relativement faible jusqu’à récemment. Mais depuis les années 1980, plusieurs chercheurs constatent qu’au Québec le français marque l’anglais dans son usage quotidien, surtout en ce qui a trait à sa composante lexicale. D’ailleurs, des publications telles que le Guide to Canadian English Usage et le Oxford Companion to the English Language en témoignent.
Certains facteurs peuvent expliquer ce phénomène linguistique dont le plus significatif est la promotion du français comme langue officielle et langue de travail. Parallèlement à cela, la population de langue maternelle anglaise déclinait, alors que le niveau de bilinguisme chez les jeunes anglophones doublait entre 1971 et 2001. On observe aussi une croissance dans le prestige du français québécois vu comme une variation légitime et normalisée du français. En vertu de la politique linguistique du gouvernement québécois, les nomenclatures françaises servent désormais à désigner la plupart des réalités institutionnelles, administratives, sociales, géographiques et politiques du Québec et ces désignations françaises sont utilisées en anglais aussi bien qu’en français.
Grâce à l’analyse d’un corpus récent de textes journalistiques, administratifs et touristiques écrits en anglais au Québec, nous pouvons noter la présence de plusieurs types d’emprunts : les emprunts lexicaux, les emprunts sémantiques, les gallicismes de fréquence, les calques et les emprunts de graphie.
Les emprunts lexicaux sont le type d’emprunt le plus facile à identifier : il s’agit de mots simples ou de groupes de mots de forme française empruntés directement en anglais. Au Québec, ces emprunts marquent le discours quotidien de beaucoup d’anglophones : ils vont au dépanneur, ils emmènent leurs enfants à la garderie, ils conduisent sur des autoroutes ou prennent le métro. Citons, comme autres exemples d’emprunts courants, allophone, brasserie, caisse, chansonnier, dégustation, fonds, maître, polyvalent, poutine, régie, terrasse, vedette, vélo et vernissage. On peut aussi ajouter à ces exemples des acronymes et des sigles courants dérivés de noms propres français : CEGEP, DEC, zec, CLSC et SQ.
Les emprunts sémantiques résultent du fait qu’on attribue un sens français à un mot qui, par son signifiant, semble être un mot anglais. Cela tient à l’existence, en français et en anglais, d’un grand nombre de mots à signifiants graphiques identiques ou fortement ressemblants. La plupart des emprunts sémantiques sont vus comme des abus, étant qualifiés de faux amis (par ex., reunion avec le sens de meeting ou library avec le sens de bookstore) et se trouvant rarement dans des textes de bonne qualité. Par contre, certains de ces emprunts semblent avoir acquis un niveau d’acceptation en anglais québécois, vu la fréquence de leur usage. Prenons, par exemple, le terme animator. En anglais international, il désigne le technicien en animation qui donne l’impression de mouvement à une suite d’images, tandis que bien souvent, en anglais québécois, tout comme le mot français animateur, il désignera celui ou celle qui, en anglais international, se nommerait moderator, facilitator, host, group leader ou coordinator.
Certains mots anglais connaissent un usage fréquent au Québec, alors qu’ils sont rarement utilisés à l’extérieur de la province, résultat de l’usage très fréquent de leur homologue du français québécois. Des exemples typiques de ce genre d’emprunt, que nous appelons « gallicismes de fréquence », sont fête, collectivity et population. Les termes anglophone et francophone peuvent se classer dans cette même catégorie.
Nous constatons aussi un léger glissement de sens dans l’emploi de certains de ces gallicismes de fréquence. Par exemple, le mot global, très fréquent en anglais au Québec, dépasse son sens établi en anglais standard de mondial pour devenir synonyme de overall. Le mot population, employé surtout dans les contextes démographique et statistique en anglais international, prend le sens plus large de community ou group of people en anglais québécois.
Les calques syntagmatiques sont des unités dans lesquelles on emprunte au français le syntagme, mais où on traduit littéralement en anglais les éléments qui le composent. Le calque peut afficher une construction syntaxique empruntée au français : l’unité lexicale estates-general, basée sur la forme française états généraux, reflète l’ordre des éléments déterminé-déterminant du syntagme français. Le calque peut aussi afficher une image empruntée au français : les syntagmes square head pour tête carrée ou welcome class pour classe d’accueil ou encore single window pour guichet unique sont des syntagmes traduits directement du français.
Au Québec, la graphie de certaines unités lexicales anglaises ne correspond pas toujours à la norme de l’anglais canadien. Par exemple, on trouve des accents sur certains mots (Montréal, Québec), un trait d’union dans des unités telles que St-Laurent Boulevard et des minuscules dans la graphie de mots tels qu’anglophone, francophone et anglo. Notons que, partout au Canada, l’orthographe anglaise est marquée par la variation (colour et color; theatre et theater). Comme l’anglais canadien est soumis à la double influence de l’anglais britannique et de l’anglais américain, la variation est la norme.
On peut aussi constater l’usage de diverses formes d’origine française adaptées à la langue anglaise. Certaines unités lexicales subissent une troncation caractéristique de l’anglais : dep [de dépanneur]; rad-can [de Radio-Canada]; anglos, francos and allos [pour désigner les anglophones, les francophones et les allophones]. Citons aussi des formes composées construites à la manière de la langue emprunteuse : vedette-watching, calèche driver, cegep student. Dans les formes au pluriel de caisse populaires et caisse pops, le mot populaire ou pop devient le pivot du syntagme nominal et porte seul la marque du pluriel.
La plupart des emprunts constatés au Québec proviennent non du français international mais du français québécois. Cela s’explique par le fait que les Québécois anglophones côtoient la culture et la langue québécoises dans leur vie quotidienne. Les champs sémantiques des emprunts au français reflètent donc ce quotidien québécois dans son organisation politique et sociale, son paysage culturel ainsi que son environnement physique et naturel. C’est un phénomène de localisation linguistique, un signe d’intégration locale. En effet, une bonne connaissance de la langue française et de la culture québécoise, qui se manifeste parfois par l’usage d’expressions et de mots empruntés au français, est de plus en plus vue comme un élément essentiel à l’identité sociale des Anglo-Québécois.