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Le féminisme au Québec a contribué à transformer la situation des femmes et l’ensemble de la société. On distingue plusieurs courants qui se succèdent et se superposent au cours du 20e siècle.
Un premier modèle apparaît dès le début du siècle autour des « droits de la femme ». À l’instar des femmes occidentales, les Canadiennes sont regroupées depuis 1893 dans un même organisme, le Conseil national des femmes du Canada, qui chapeaute toutes les associations féminines et formule plusieurs revendications. Chaque ville importante se dote d’une section locale rattachée au conseil central. Montréal réunit les femmes des deux communautés nationales. Les Canadiennes françaises décident en 1907 de former leur propre association, la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, qui organise des congrès et des cercles d’études, et publie un mensuel, La Bonne Parole (1913-1957). Marie Gérin-Lajoie en est la figure de proue. Elle soutient plusieurs causes féministes de l’époque : révision des prescriptions du Code civil pour les femmes mariées, instruction supérieure des filles, suffrage féminin, campagnes antialcooliques, lutte contre la traite des Blanches et syndicalisme féminin. Le concept de responsabilité maternelle inspire un grand nombre de ces revendications.
En 1913, la Montreal Suffrage Association est fondée à l’initiative des anglophones. Après l’obtention en 1918 du droit de vote des femmes aux élections fédérales, les militantes décident de porter désormais la lutte sur la scène provinciale. Un comité bilingue est donc formé et une imposante délégation se rend à l’Assemblée législative, en 1922, où plusieurs féministes prononcent des discours. Largement publicisée, cette démarche est mal reçue par le premier ministre. L’échec de cette tentative incite Marie Gérin-Lajoie à tenter d’obtenir, pendant près de cinq ans, une caution religieuse pour le suffrage féminin. Thérèse Casgrain relance l’action collective en 1927 et fait ensuite du comité la Ligue des droits de la femme. À la même époque, Idola Saint-Jean met sur pied l’Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec et publie un journal annuel, La Sphère féminine (1933-1945). Ces deux groupes exigent, chaque année, une loi autorisant le suffrage féminin. Leur demande ne sera entendue qu’en 1940.
Toutefois, durant les années 1940 et 1950, les Québécoises se retrouvent, par centaines, dans des associations variées qui ne sont pas à proprement parler féministes, mais qui permettent aux femmes d’occuper de plus en plus la sphère publique. Par ailleurs, des articles, des conférences et des émissions de radio et de télévision mettent à l’ordre du jour le droit des femmes à l’instruction supérieure, à la pratique des professions, à l’égalité salariale, à la contraception et au divorce. Les journalistes figurent au premier rang pour formuler ces revendications. Des femmes se joignent, en 1961, à la Voix des femmes, qui milite pour la paix dans le monde.
En 1965, Thérèse Casgrain organise, pour souligner le 25e anniversaire du vote des femmes, un colloque où sont conviées toutes les associations féminines. Les femmes font alors le constat qu’il reste beaucoup de travail à faire pour modifier les lois et éliminer la discrimination. Un nouvel organisme est officiellement créé en 1966 : la Fédération des femmes du Québec (FFQ). Les responsables se joignent alors aux Canadiennes anglaises pour réclamer du gouvernement fédéral une commission d’enquête, obtenue en 1967. La Commission Bird, du nom de sa présidente, devient alors le catalyseur d’une vaste prise de conscience qui traverse toutes les couches sociales et se répercute dans les médias. Ses recommandations, publiées en 1970, inaugurent une série de transformations sociales renforcées par l’adoption, en 1975, de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. En 1973, on met sur pied, à la demande de la FFQ, le Conseil du statut de la femme qui publie, à partir de 1979, la Gazette des femmes. L’idéologie égalitaire qui caractérise cette nouvelle forme de féminisme influence même les associations plus conservatrices, notamment l’Association féminine d’éducation et d’action sociale (AFEAS) qui défend, à partir de 1976, les droits des femmes collaboratrices dans l’entreprise familiale et publie Femmes d’ici. Des comités-femmes sont créés dans les centrales syndicales. Le féminisme n’est plus l’apanage de quelques femmes éclairées.
Ce féminisme réformiste est contemporain d’un féminisme qualifié de radical qui apparaît en 1969. Ce dernier ne se contente pas de réclamer des modifications législatives : il entend aller à la racine du système qui opprime les femmes, en s’attaquant au patriarcat et en remettant en question tout l’ordre social. Il estime que l’expression première du patriarcat réside dans la mainmise des hommes sur le corps des femmes. D’où l’importance prise par des questions nouvelles : avortement, violence, viol, agression sexuelle, pornographie et contrôle de la santé des femmes. De nouvelles réflexions dénoncent le travail invisible des femmes dans la famille. Le Front de libération des femmes du Québec (1969-1971), le Centre des femmes (1972-1975), le Réseau d’action et d’information pour les femmes (1973-1995), le Comité de lutte pour l’avortement, le Centre de santé des femmes, les éditions du remue-ménage et le Théâtre des Cuisines expriment les idées de ce nouveau féminisme. De nombreuses revues sont publiées : Québécoises deboutte! (1969-1974); Les Têtes de pioche (1976-1979); Des Luttes et des rires de femmes (1977-1981) et La Vie en rose (1980-1987). Des cinéastes lancent la série de films En tant que femmes. Des écrivaines explorent les formes de l’écriture féminine et on impose la féminisation des titres et de la langue. De même, la recherche féministe se met en place dans plusieurs universités.
Des femmes mettent sur pied une multitude de services pour soutenir les femmes dans leur recherche d’autonomie : maisons d’hébergement, centres de santé, centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, centres d’emploi pour femmes, réseau de familles monoparentales et centres de femmes constituent un vaste réseau de plus de 800 groupes à la fin du siècle. Réformistes et radicales se retrouvent au sein de coalitions pour les garderies, le congé de maternité, l’équité salariale, atténuant de plus en plus l’opposition qui les caractérisait durant les années 1970, et on organise, en 1995, la marche Du pain et des roses.
Les militantes sont toutefois préoccupées par la fragilité de leurs acquis, car, depuis les années 1990, un fort courant antiféministe menace leur action qui semble par ailleurs moins nécessaire à plusieurs jeunes femmes, lesquelles n’ont pas connu les luttes qui sont à la base des transformations considérables qui viennent de se produire. Enfin, le féminisme québécois, souvent perçu comme l’un des plus dynamiques, s’insère dans l’action du féminisme international par la Marche des femmes de l’an 2000, lancée par la Fédération des femmes du Québec.