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Jacques Cartier, lors de ses voyages au Canada, entre 1534 et 1542, nota l’abondance des mammifères marins dans le Saint-Laurent. Il observa le morse et une petite baleine blanche, le béluga, que les Amérindiens chassaient depuis au moins l’an 200, comme l’atteste le site archéologique de l’île Verte. À partir du 16e siècle, les pêcheurs basques vinrent y chasser la baleine qu’ils nommaient « baleine de Biscaye » (baleine franche ou noire [Eubalaena glacialis]). Cette lente nageuse était plus facile à chasser et donnait de grandes quantités d’huile; de plus, elle portait de très longs fanons qu’on utilisait pour fabriquer des corsets. Ces chasseurs ont construit à terre des abris et des fours dont il reste des vestiges sur la côte du Labrador et près de l’embouchure du Saguenay. De nos jours, à part la chasse traditionnelle pratiquée par certaines communautés autochtones du Nord, la chasse à la baleine est interdite au Québec; le golfe et l’estuaire du Saint-Laurent sont des sites exceptionnels pour observer une grande variété de mammifères marins, particulièrement près des pôles touristiques que sont devenus Tadoussac, Mingan et Percé.
Du point de vue de la systématique, les mammifères marins regroupent deux ordres d’animaux très différents : les cétacés (baleines, dauphins, etc.) et les pinnipèdes (morse et phoques). D’un point de vue écologique, il faudrait inclure certains autres mammifères qui vivent de la mer, soit l’ours blanc de l’Arctique (Ursus maritimus), qui se nourrit essentiellement de phoques, ainsi que certaines populations locales de visons (Mustela vison), de pékans (Martes pennanti) et de loutres (Lutras canadensis) qui, du Bas-Saint-Laurent jusqu’à Terre-Neuve, se nourrissent de poissons et de crustacés marins.
Les cétacés sont des animaux à la peau nue qui ne peuvent vivre hors de l’eau. Ils n’ont pas de membres arrière, mais une queue sans os orientée horizontalement à l’extrémité de la colonne vertébrale. Les membres antérieurs, dont l’ossature est encore présente, ont été modifiés en nageoires aplaties et la respiration se fait par un évent, à ouverture simple ou double. Ils se divisent en deux sous-ordres, les mysticètes et les odontocètes. Les premiers, qui incluent notamment les baleines proprement dites, se nourrissent de plancton animal et de petits poissons qu’ils obtiennent en filtrant l’eau à l’aide de fanons disposés sur leur mâchoire supérieure. Les seconds incluent les baleines à bec, les cachalots, les dauphins et les marsouins; ils se nourrissent de divers poissons et d’invertébrés et leurs mâchoires sont munies de dents. Les cétacés ont des yeux (l’œil des grands rorquals étant le plus gros du règne animal), mais ils s’orientent et communiquent dans le milieu aquatique surtout à l’aide d’ondes sonores, lesquelles sont particulièrement variées chez les odontocètes.
Six espèces de mysticètes sont observées dans les eaux du Québec. Les espèces les plus communément rencontrées dans le Saint-Laurent sont la baleine bleue (ou rorqual bleu, [Balaenoptera musculus], le plus grand animal qui ait jamais vécu sur Terre, pouvant atteindre 30 mètres de longueur et pesant plus de 100 tonnes), le rorqual commun (Balaenoptera physalus), le petit rorqual (Balaenoptera acutorostrata, aussi appelé « gibard » ou « baleineau ») et le rorqual à bosse (Megaptera novaeangliae). Plus à l’est, on peut aussi voir le rorqual boréal (Balaenoptera borealis) et la baleine franche ou baleine noire (Eubalaena glacialis), tandis qu’en eaux arctiques vit la baleine franche du Groenland (Balaena mysticetus, que les anciens Basques nommaient « baleine de Grande Baie »).
Huit odontocètes sont fréquemment observés dans les eaux du Québec. Les plus courants sont, à l’est, le dauphin à flancs blancs (Lagenorhynchus acutus, souvent en troupeaux de quelques centaines d’individus), le dauphin à nez blanc (Lagenorhynchus albirostris), le marsouin commun (Phocoena phocoena, le plus petit de tous les cétacés), le globicéphale (Globicephala melaena, surtout près des Îles-de-la-Madeleine) ainsi que le béluga (Delphinapterus leucas). Ce dernier est une espèce arctique dont une population vit relativement isolée dans l’estuaire et le golfe du Saint-Laurent. Cet animal a été exploité dès le début de la colonie française en Amérique et jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. On le chassait pour sa peau, son gras (donnant une huile fine utilisée en optique) et sa chair (pour l’alimentation des porcs); cette activité a été intégrée à la culture et au folklore locaux. On nommait l’adulte « marsouin » et les jeunes, « blanchon » (trois ou quatre ans) ou « bleuvet » (deux ans). Sont aussi présents l’hyperoodon boréal (Hyperoodon ampullatus, rare), le cachalot (Physeter catodon), l’épaulard (Orcinus orca, parfois localement et faussement appelé « espadon ») et, dans l’Arctique, le narval (Monodon monoceros, source possible de la légende de la licorne).
Les pinnipèdes (morse et phoques) sont moins différenciés des mammifères terrestres. Ce sont des animaux à fourrure, aux pattes modifiées en nageoires mais pourvues de griffes, capables de venir à terre et de s’y déplacer plus ou moins agilement. Des sept espèces du Québec, seuls le phoque gris (Halichoerus grypus), le phoque du Groenland (Pagophilus groenlandica) et le phoque commun (Phoca vitulina) sont observés à l’année au sud. Le phoque barbu (Erignathus barbatus), le phoque annelé (Phoca hispida) et le morse (Odobenus rosmarus) vivent en eaux arctiques; le morse était autrefois abondant dans le golfe du Saint-Laurent, en particulier aux Îles-de-la-Madeleine, où on l’appelait « vache marine ». Certaines populations de phoques communs vivent isolées dans des lacs d’eau douce de la taïga du nord du Québec. En hiver, le phoque à capuchon (Cystophora cristata) vient se reproduire sur les glaces du golfe; le mâle, qui peut gonfler de spectaculaires poches frontale et nasale rouges, est énorme par rapport à la femelle et à son petit, dont le pelage est bleu. Mais les glaces de février et de mars sont avant tout le domaine du phoque du Groenland (aussi appelé en France « phoque du Canada » et dont le nom local varie selon l’âge et le pelage : « blanchon », « beater », « bête de la mer »). Il fait l’objet, sur la Côte-Nord et aux Îles-de-la-Madeleine, d’une chasse saisonnière pour sa fourrure. La chasse, qui s’effectuait traditionnellement en chaloupe, est devenue, à partir de la fin du 19e siècle, une activité commerciale intensive visant surtout les nouveau-nés, provoquant un mouvement de protestation à l’échelle mondiale.