Des changements radicaux ont marqué le début des années 1960 au Québec. L’architecture n’échappe pas à cette règle, mais, comme dans le cas des bouleversements sociaux, les changements ne surviennent pas sans quelques éléments annonciateurs.
À Montréal, c’est l’époque où se construit pour Hydro-Québec, nouveau symbole d’une affirmation nationale, l’un des derniers grands immeubles qui s’inscrit dans la tradition des gratte-ciel montréalais à structure d’acier et à revêtement de maçonnerie. Le peuple canadien-français se donne alors l’équivalent de la Sun Life, de la Banque Royale ou encore de l’édifice Bell, érigés au cours des années 1920 et 1930, et témoins de l’essor de la métropole du Canada.
Parallèlement à la construction du siège social d’Hydro-Québec, trois immeubles qui vont changer l’image de Montréal, lui assurer pendant encore quelques années l’image d’une métropole, se dessinent sur les planches de quelques architectes de New York, de Toronto, de Chicago et de Montréal. Rien d’exceptionnel dans tout cela. L’architecture des décennies précédentes doit beaucoup à l’apport de constructeurs étrangers anglophones, qu’il s’agisse de James O’Donnell à la basilique Notre-Dame ou des McKim, Mead & White à la Banque de Montréal ou encore de Bruce Price au Château Frontenac, pour n’en citer que quelques-uns.
Des architectes de New York, de Toronto et de Chicago esquissent le nouveau visage de Montréal : la Place-Ville-Marie, l’immeuble de la CIBC, l’immeuble de la CIL regroupés le long du boulevard Dorchester (aujourd’hui boulevard René-Lévesque) qu’on vient de transformer en une grande avenue de l’est à l’ouest. Cette nouvelle architecture se caractérise par son audace structurale – des tours à structure d’acier de 30 à 40 étages – mais surtout par l’utilisation d’un mur rideau, léger et largement vitré.
Quelques années plus tard, des architectes et des ingénieurs italiens conçoivent la tour de la Bourse qui utilise, cette fois-ci, une structure de béton à laquelle se rattache un mur rideau plus expressif que celui que leurs prédécesseurs ont réalisé.
Ces grands chantiers offrent à quelques architectes montréalais la possibilité de collaborer à la naissance de la modernité de la métropole, notamment dans la mise au point des premiers niveaux de la Place-Ville-Marie, à partir desquels se ramifiera le Montréal souterrain. Le métro va, dans un même élan, donner une dimension architecturale tout à fait innovatrice à cette vie souterraine, de la station Bonaventure jusqu’à quelques stations plus modestes : Peel, Préfontaine ou encore Angrignon.
Montréal acquiert donc au début des années 1960 une stature internationale, consacrée bientôt par l’Expo 67. Cet événement suscite des réalisations exceptionnelles. Il reste aujourd’hui Habitat 67, qui proposait un nouveau mode de vie urbain, le pavillon du Québec, version épurée de la modernité, et le dôme géodésique (le pavillon américain), illustration paradoxale des rêves d’une contre-culture émergente et d’une technologie raffinée.
On l’a dit, la modernité ne peut être tout à fait spontanée. Déjà Ernest Cormier, au cours des années 1930 et 1940, utilise le style Art déco pour se démarquer de la tradition. Le bâtiment principal de l’Université de Montréal demeure l’illustration la plus spectaculaire de sa pensée. Un peu plus tard et à une échelle plus modeste, Marcel Parizeau construit quelques maisons inspirées de l’architecture européenne des années 1930. La maison Laroque à Outremont demeure la plus connue, avec ses murs de stuc lisses et blanc, dont on retrouvera des exemples similaires à Sillery et, de façon inattendue, à L’Estérel, centre de villégiature des Laurentides.
Mais, assez curieusement, les balbutiements de la modernité architecturale au Québec se sont souvent exprimés dans la construction d’églises, et cela, de façon remarquable au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Certes, dom Paul Bellot avait ouvert la voie à une remise en question de la tradition, notamment avec la construction de l’abbaye de Saint-Benoît-du-Lac au début de la Deuxième Guerre mondiale. Mais Saint-Marc de Bagotville, Saint-Raphaël de Jonquière et plusieurs autres églises témoignent, au début des années 1960, d’une rupture beaucoup plus radicale et d’un renouveau de l’art sacré, qui s’exprime de façon audacieuse et lyrique dans l’utilisation du béton par les architectes.
Et ce sont certains de ces architectes venus du Nord qui transformeront le visage de la ville de Québec, au moment où l’État québécois voudra symboliser sur la colline parlementaire la modernisation de ses structures.
Hors de Montréal et de Québec, un des événements importants des années 1970 demeure la transformation radicale du centre-ville de Hull, à la suite de la décision du gouvernement canadien d’y aménager plusieurs édifices gouvernementaux. De ceux-ci, la première phase de la Place-du-Portage reste encore aujourd’hui le plus marquant. Le Musée des civilisations s’y ajoute, transposant sur les rives de l’Outaouais l’interprétation lyrique que fait son architecte des traditions autochtones.
Cette irruption de la modernité ne va cependant pas sans heurts. Plusieurs des nouvelles constructions sont perçues comme des atteintes à la structure cohérente de la ville traditionnelle. L’esprit du lieu résiste mal à cette architecture, dite internationale, et on voit naître des mouvements partisans de la conservation des structures anciennes, de même qu’une architecture qui se veut plus contextuelle et qui se propose de mieux encadrer l’espace public.
La restauration des anciens bâtiments, qu’ils soient de nature scolaire, industrielle ou encore religieuse, devient un enjeu primordial qui va de pair avec l’évolution des mentalités et de l’économie globale. Des quartiers d’habitation sont restaurés – celui de Milton-Parc pour n’en citer qu’un à Montréal. D’anciens collèges ou couvents sont transformés en structures d’habitation – le Mont-Saint-Louis et le monastère du Bon-Pasteur à Montréal. De grands complexes industriels se transforment – la Paton de Sherbrooke, la Corticelli à Montréal, la Dominion Corset (aujourd’hui La Fabrique) à Québec. Les villes redécouvrent leurs rives, qu’il s’agisse du Vieux-Port de Montréal ou encore de celui de Trois-Rivières.
Cette réappropriation de la ville, la conservation de sa structure et des témoins de son évolution inspirent une architecture plus sensible à son contexte. Le musée Pointe-à-Callière dans le Vieux-Montréal, le Centre canadien d’architecture ainsi que le Musée de la civilisation à Québec en demeurent de bons exemples.
L’architecture ne se plie cependant pas toujours à cette volonté d’intégration, comme en témoignent, à Montréal, le siège social de la Caisse de dépôt et placement du Québec, une architecture sobre et maîtrisée, et le palais des congrès, une architecture, délibérément provocatrice. Les créateurs de ces deux immeubles sont cependant demeurés sensibles à la définition et à la qualité de l’espace urbain.
S’allie aujourd’hui au désir de mieux structurer l’espace public, l’espoir de limiter l’empreinte écologique de l’habitat humain; une architecture « verte », sensible aux défis de la raréfaction des ressources, émerge graduellement en ce début du 21e siècle.