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La nomenclature des arbres du Québec

Pierre Auger

Professeur
Université Laval

Dès les époques les plus reculées, l’arbre a été considéré comme le lien immuable entre le vivant et la terre, la mémoire vivante de l’homme suggérée par son habituelle longévité. Certains arbres en sont même venus à incarner des régions entières comme c’est le cas de l’érable à sucre, dont la feuille sert d’élément central au drapeau canadien, souvent appelé « unifolié ».

Les témoignages des premiers voyageurs venus au Canada sont unanimes à reconnaître la grandeur et la majesté des forêts qui s’offraient à leur regard. Jacques Cartier en parle avec éloge dans le récit de son premier voyage en 1534 : « Nous y dessandîmes celuy jour en quatre lielx [à l’île du Prince-Édouard], pour voir les arbres quels sont merveilleusement beaulx, et de grande odeur, et trouvames, que c’estoient cedres, iffz, pin, ormes blans, frainnes, souldres et autres, pluseurs à nous incongneuz, tous arbres sans fruictz. » C’est à peu près dans les mêmes termes que s’expriment Champlain, Lescarbot et Sagard dans le récit de leurs voyages « en Canada ». Les Relations des jésuites foisonnent également de descriptions de ce genre. Il faut toutefois attendre l’Histoire véritable et naturelle des mœurs et productions du pays de la Nouvelle-France vulgairement dite le Canada de Pierre Boucher, parue en 1664, pour trouver des données plus précises sur la botanique et la nomenclature des arbres.

Rappelons au passage que ce n’est qu’aux 18e et 19e siècles que des naturalistes européens, tels Kalm, Michaux, Duhamel du Montceau ou Charlevoix, commencèrent à étudier et à identifier scientifiquement les essences québécoises d’arbres. En 1862 paraît la Flore canadienne ou Description de toutes les plantes des forêts, champs, jardins et eaux du Canada […] de l’abbé Léon Provancher, premier recueil systématique de botanique québécoise. Et, parmi les travaux les plus importants sur la flore du Québec, citons la Flore - Manuel de la province de Québec du père Louis-Marie o.c. parue en 1931 et l’incontournable Flore laurentienne du frère Marie-Victorin publiée en 1935, ouvrage fondamental, encore largement utilisé aujourd’hui, maintes fois réimprimé et deux fois réédité.

Le principal problème auquel eurent à faire face les premiers colons arrivés en Nouvelle-France fut de nommer cette flore nouvelle. Leur connaissance naturelle et primitive de celle-ci devait nécessairement être régionale et donc localisée, chacun apportant avec lui son bagage linguistique propre pour désigner les plantes et les arbres de sa région natale. Cette diversité ne contribuera certes pas à l’unité de la nomenclature botanique québécoise. Il faut présupposer aussi que cette connaissance ne devait être que toute relative, imparfaite et sujette à beaucoup d’erreurs, par exemple, la confusion d’espèces connues avec les espèces nouvellement rencontrées.

Par ailleurs, la difficulté de nommer des espèces inconnues obligea ces premiers voyageurs à innover à partir de leur fonds linguistique individuel (par exemple, prusse et pruche pour sapin de Prusse) en formant des néologismes ou de nouvelles appellations (épinette rouge, érable bâtard), laissant par là beaucoup de place à l’imagination de chacun; ou encore à emprunter aux langues amérindiennes (tamarac : « mélèze »; voir aussi l’article Langues amérindiennes) ou à l’anglais américain (après la Conquête en 1760) pour les espèces déjà nommées. En étudiant les noms d’arbres québécois, il n’est pas facile de circonscrire ce qui est du français d’ici et ce qui est du français du 16e ou du 17e siècle (par exemple, pruche, attesté dans les récits de voyage de Cartier en 1534, nom nécessairement apporté d’outre-mer). Le fait également que certains vocables n’ont à peu près pas laissé de traces dans les dictionnaires du français rend plus difficile encore cette identification étymologique.

Si l’on compare les noms canadiens d’essences locales d’arbres avec les noms usités en France pour des arbres du même genre botanique, il faut reconnaître que l’on n’a pas eu recours aux mêmes ressources du français pour créer ces noms. Ces différences dans les modes de formation des noms d’arbres d’ici existent toujours et témoignent d’un terreau sociolinguistique original et particulier.

Parmi les noms simples d’espèces bien connues chez nous, citons épinette (épicéa) et pruche (tsuga), qui sont originaux, mais aussi cèdre (thuya), cyprès (pin gris) et merisier (bouleau merisier), ceux-là suggérant qu’à l’origine il y a eu erreur sur le genre botanique. Il faut faire ici une place à part à l’annedda (arbre de vie), nom trouvé chez Cartier (1535) pour désigner probablement le thuya aux propriétés antiscorbutiques.

Viennent ensuite les nombreux noms forgés autour du mot bois et, parmi eux, bois barré ou bois d’orignal (sorte d’érable), bois blanc (tilleul), bois de fer (ostryer), jusqu’au fameux bois connu ou inconnu (micocoulier occidental).

Des langues amérindiennes, on a tiré, entre autres, mascouabina (sorbier) et tacamahac (peuplier). Pour nommer les différentes espèces, le procédé le plus populaire est sans doute l’association au générique d’un adjectif de couleur représentant une bonne partie du spectre (blanc, noir, gris, rouge, vert, bleu, jaune et roux), qui a donné des appellations comme chêne rouge (Quercus rubra), épinette blanche (Picea glauca) ou épinette noire (Picea mariana). Le procédé a même servi à la désignation des peuplements forestiers correspondants, comme bétulaie jaune (bouleau jaune), érablière rouge (érable rouge) et pessière blanche (épinette blanche).

D’autres déterminants viennent préciser différentes essences forestières, comme :

  • la répartition géographique ou l’habitat : cèdre de l’Est, pin blanc du Canada; cèdre commun, épinette de savane; frêne bâtard;

  • un anthroponyme : érable/plaine à Giguère;

  • l’usage qu’on fait de l’arbre : bouleau à canot, épinette à bière;

  • la taille de l’arbre : bouleau nain, grand tremble, petite épinette;

  • son aspect général ou une caractéristique : chêne fléché, érable piqué, orme gras;

  • le fruit ou un constituant de l’arbre : bouleau à sucre, noyer amer;

  • sa dureté : érable franc, noyer dur, noyer tendre;

  • sa ressemblance avec un autre arbre : bouleau acajou, bouleau merisier, cotonnier.

La phytonymie (dendrophytonymie) traite de la biodiversité d’une aire, de sa flore en particulier, retrace les liens historiques qui ont présidé à son observation et explique son rapport à l’homme. Au Québec, la forêt boréale est bien décrite par les noms évocateurs donnés à ses principaux habitants : les arbres.

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