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Le concept de nation

Michel Seymour

Professeur
Université de Montréal

La plupart des auteurs de notre époque constatent la difficulté d’arriver à une définition simple et univoque de la nation, écueil peut-être explicable du fait qu’il existe au moins cinq sortes de nations. Tout d’abord, la nation ethnique englobe une population qui se conçoit majoritairement comme partageant la même origine ancestrale. Puis la nation civique réunit une population qui habite le même pays. Ensuite, la nation culturelle suppose que la population qui la compose partage une même langue, une même culture, une même histoire. Par ailleurs, la nation sociopolitique forme un genre de communauté politique (pas nécessairement souveraine) qui rassemble une majorité nationale (l’échantillon majoritaire des personnes ayant une langue, une culture et une histoire propres) et une ou des minorités nationales, extensions de majorités nationales voisines, en plus de citoyens d’origines diverses encore attachés à leur pays de naissance. Enfin, la nation diasporique suppose l’existence de regroupements qui, tout en partageant certains traits culturels, habitent des territoires discontinus et forment des minorités dans ces différents territoires.

La diversité des consciences nationales est toutefois plus complexe que ne le montre ce simple survol. En effet, les cinq concepts mentionnés ne peuvent rendre compte d’une nation kurde dispersée dans un territoire non fragmenté (le Kurdistan). Ils ne permettent pas non plus de décrire des « nations » qui se considèrent comme des agrégats de nations particulières, par exemple la Grande-Bretagne, le Canada, l’Espagne et la Belgique.

En dépit de ces distinctions, les nations partagent certains traits et se représentent toutes comme des « cultures sociétales ». En ce sens, elles sont toutes des nations au sens politique de l’expression. La culture sociétale est au concept de peuple ce que la notion de citoyen est à la personne. On ne traite alors que de la dimension institutionnelle, et donc politique, des peuples (nations) et des personnes (individus). Malgré les différentes façons qu’ils ont de se concevoir en tant que personnes, les individus se présentent sur la place publique en tant que citoyens. De la même manière, malgré la très grande diversité des peuples, ils affichent leur identité institutionnelle de culture sociétale. Tous les peuples sont donc des cultures sociétales (ou des agrégats de culture sociétale) dans lesquelles intervient une certaine autoreprésentation nationale. Cette conception ressemble beaucoup à celle qu’avancent John Rawls, dans The Law of Peoples, et Jürgen Habermas, dans The Postnational Constellation.

Toutes les nations présupposent une identité institutionnelle, laquelle ne renvoie pas nécessairement à l’existence d’un État souverain. L’organisation institutionnelle des nations peut être minimale, comme dans le cas des peuples autochtones organisés en réserve, ou maximale, par exemple chez les peuples souverains. Ces organisations politiques sont parfois de niveau intermédiaire, comme certains États fédérés (le Québec), des États quasi fédérés (la Catalogne) ou des peuples nantis d’un gouvernement légitime non souverain (l’Écosse).

Une « culture sociétale » est une « structure de la culture ». Trois éléments essentiels la caractérisent : une langue publique commune, des institutions publiques communes (celles qui utilisent principalement la langue publique commune) et une histoire publique commune (relative aux institutions publiques communes). Tout cela doit être compatible avec la reconnaissance formelle de langues, d’institutions et d’histoires publiques minoritaires. La langue publique commune possède un caractère identitaire parce qu’elle forme un élément constitutif de l’autoreprésentation nationale et qu’elle n’est pas seulement un instrument de communication. Elle peut avoir un tel rôle identitaire à jouer, même si elle ne possède pas toujours un caractère distinctif par rapport aux autres nations et même si elle n’est pas valorisée par ses membres. Cette dimension identitaire de la langue ne signifie pas qu’elle est, à elle seule, l’expression d’un mode de vie et d’une conception de la vie bonne ou du bien commun. Elle est compatible avec l’existence d’un pluralisme irréductible de points de vue en ces matières. Les institutions publiques communes ne sont pas nécessairement, elles non plus, le reflet d’un ensemble d’habitudes particulières. Elles peuvent être, elles aussi, traversées par ce pluralisme de valeurs et de points de vue. Enfin, l’histoire publique commune est définie essentiellement par son objet et elle est, en principe, compatible avec une diversité irréductible de récits et d’interprétations. L’histoire publique commune n’est donc pas nécessairement le reflet d’une identité narrative partagée.

La langue, les institutions et l’histoire publiques communes forment la structure de la culture. Ainsi comprise, la structure de la culture doit être distinguée du caractère de la culture. Il s’agit, dans ce dernier cas, d’un ensemble d’habitudes homogènes et de points de vue partagés par une masse critique de la population à un moment donné. Dans les sociétés traditionnelles, la structure de la culture tend à se confondre avec un caractère particulier de la culture. Mais, dans les sociétés occidentales modernes, la structure de la culture se sépare de plus en plus du caractère de la culture. Celui-ci laisse la place à une diversité irréductible de manières de vivre, de croyances religieuses, de conceptions du bien commun et de la moralité de la vie. Les concepts de « culture sociétale », de « structure de la culture » et de « caractère de la culture » sont tous empruntés à Will Kymlicka.

Il faut aussi établir une distinction entre les peuples et les minorités nationales qui adoptent la forme d’extensions de majorités nationales voisines qu’on peut décrire comme des diasporas contiguës (les Russes dans les pays baltes, les Palestiniens vivant en Israël, les Serbes de Bosnie, les Kosovars albanais en Serbie, les Hongrois de Slovaquie, etc.). Bien entendu, il faut aussi distinguer les nations des diasporas non contiguës que sont les populations immigrantes. Les diasporas contiguës et non contiguës ne sont pas, à elles seules, des nations, et la raison en est que les populations qu’elles incluent ne se représentent pas comme formant des nations. Elles sont en quelque sorte des parties détachées et autonomes de nations qui gardent certains traits caractéristiques des nations ou des majorités nationales dont elles sont issues, sans nécessairement en faire vraiment encore partie.

Comme on le voit, la complexité du phénomène du concept de « nation » oblige à complexifier les modèles et à enrichir la liste de concepts. Il n’est plus possible de se satisfaire de la distinction normativement suspecte entre la nation civique et la nation ethnique. Cette dichotomie traditionnelle ne respecte plus la diversité nationale présente dans la plupart des pays.

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