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La chanson québécoise

Robert Giroux

Professeur retraité
Université de Sherbrooke

Sans devoir remonter jusqu’aux traditions orales de la Nouvelle-France, il semble évident que la chanson a toujours constitué au Québec un catalyseur social. L’enregistrement sonore marque une date charnière.

À ce propos, deux films documentaires de Richard Boutet sont très instructifs sur la chanson qu’on écoutait au début du 20e siècle, époque où apparaissent les premiers enregistrements de la culture orale québécoise. La guerre oubliée entremêle chansons, entrevues, documents visuels et reconstitutions théâtrales. Certaines chansons nous sont familières, comme « Quand Madelon »; d’autres sont des adaptations de chansons anciennes, anonymes, comme « Le petit conscrit », ou encore des chansons sur des airs ou des modèles connus : « La complainte de Québec » et « La maladie de la guerre ». Le deuxième documentaire, La turlute des années dures, propose un montage musical de 26 pièces autour de la crise économique des années 1930 : « C’est impossible de l’oublier », « La misère, ça fait aigrir », « Tu deviens enragé, abruti, tu deviens même voleur ». On y reconnaît tout l'univers de notre première chansonnière : La Bolduc.

La radio va entraîner une standardisation des produits en même temps qu’une prise de conscience de la popularité des artistes locaux. Elle va favoriser l’émergence des variétés. Pendant ce temps, avec l’intention avouée de préserver et de diffuser le patrimoine laurentien, l’abbé Charles-Émile Gadbois lance l’œuvre de La bonne chanson, des recueils et des disques de chansons traditionnelles qui connaîtront pendant vingt ans un énorme succès.

Les fêtes populaires, les stations de radio et les « cabarets » sont à l’époque les principaux lieux de diffusion de la chanson. En fait, la radio va professionnaliser le métier et provoquer une large diffusion, entraînant un renouvellement rapide des chansons et des stars. Cette effervescence va s’accentuer avec l’arrivée de la télévision, dont les émissions de variétés prouveront l’existence d’un grand nombre de jeunes artistes prometteurs, créant ainsi le fondement de la chanson québécoise moderne.

À partir du milieu des années 1950, le monde de la chanson évolue rapidement. Les Français, découvrent le Québécois Félix Leclerc qui séjourne chez eux et dont le style, semblable à celui d’un troubadour, fera école par la suite. Au Québec même, deux modèles vont progressivement dominer : celui du chansonnier (qui écrit des chansons dont les paroles peuvent être aussi importantes que la mélodie) et celui de la chanson populaire (où l’importance est accordée à la mélodie et au rythme plutôt qu’aux paroles). Les chansonniers sont en vogue chez les baby-boomers scolarisés qui fréquentent les boîtes à chansons. Quant à la chanson populaire, souvent d’inspiration américaine, elle trouve ses fans parmi les adolescents qui s’identifient à ce que véhicule la télévision. Elle se cantonne dans l’imitation de ce qui se fait ailleurs et se manifeste essentiellement comme loisir, rythme et danse. On assiste ainsi au tiraillement culturel profond qu’a connu la société québécoise après la Seconde Guerre mondiale : d’un côté, le modèle rive gauche parisienne (celui des chansonniers), de l’autre, les modèles de nos voisins du sud, la chanson de charme et la chanson rock que véhicule allègrement le cinéma, où apparaissent de jeunes délinquants idéalisés.

Durant cet âge d’or de la chanson, qui coïncide avec le souffle de la Révolution tranquille, cohabitent plusieurs réseaux musicaux, articulés autour de deux figures. Gilles Vigneault représente le groupe des chansonniers-poètes, exploite la tradition folklorique et favorise, sous une forme très écrite, un parler à la fois régional et poétique. L’autre figure, Robert Charlebois, regroupe ceux qui ont subi l’influence du rock, favorise le joual, la vie quotidienne, le monde urbain et impose des musiques métissées, un rituel scénique performant et une thématique renouvelée. Pendant ce temps, au tout début des années 1970, la contre-culture hippie inspire deux autres figures musicales dominantes : Raoul Duguay et Lucien Francœur. Alors que Duguay exhorte à « monter en amour », Francœur se fait le porte-parole de l’underground urbain violent (sexe, drogue, rock’n’roll).

Cohabitent aussi plusieurs autres réseaux musicaux : la chanson traditionnelle revisitée autant par CANO que par le duo Jim et Bertrand. L’engouement culmine avec La veillée des veillées de 1976. S’impose aussi un autre genre : la chanson sociale progressiste, comme les revues que monte Raymond Lévesque, les spectacles-manifestes que sont Poèmes et chants de la résistance ou encore Québékiss, cette création collective dans laquelle Marie Savard prête sa voix revendicatrice au féminisme naissant.

De son côté, Diane Dufresne s’impose comme rockeuse et le groupe Beau Dommage fait un malheur. Surviennent également des spectacles extérieurs électrisants, comme la Superfrancofête et la Chant’Août, enfin, et aussi, l’album culte Une fois cinq, qui vont constituer les moments forts de cette génération, et pour ainsi dire son chant du cygne. C’est aussi à cette époque que l’on crée l’ADISQ (l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo).

On voit apparaître des signes d’essoufflement ou d’innovation. Des artistes se tournent vers le marché français, délaissent la cause nationale au profit de nouvelles préoccupations, notamment l’écologie et un nouveau type de relations amoureuses. Nous pensons à Plume, à Claude Dubois, à Paul Piché. Et tandis qu’on découvre Starmania de Luc Plamondon et Michel Berger, cet opéra rock sur la jeunesse, l’industrie mondiale du disque va vivre une crise catastrophique. Après la fièvre du disco, les ventes chutent lamentablement et même l'empire Kébec-Spect devra mettre fin à ses activités.

Mais l'industrie de la chanson va se ressaisir rapidement à la faveur d’inventions technologiques considérables : les disques compacts et vidéoclips. Les médias électroniques vont diffuser abondamment ces derniers, favorisant ainsi une très grande diversité de contenus et de styles. C’est donc la télévision qui va soutenir, une fois de plus, tout le système. L’auditeur se fait spectateur, chez lui, sans même avoir besoin du spectacle diffusé en direct. Et pendant qu’on entre dans l’ère de la vidéo-musique, on assiste au retour en force, en solo, des vedettes de différents groupes antérieurs : Richard Séguin, Pierre Flynn, Michel Rivard, Marjo. On voit aussi apparaître de nouvelles têtes d’affiche comme Les Colocs, Richard Desjardins, Daniel Bélanger, Éric Lapointe, Kevin Parent, et plus tard Pierre Lapointe, Loco Locass, etc. Cette effervescence favorise l’éclosion et le succès de salles, comme le Spectrum, le Club Soda, les maisons de la culture, sans oublier Les Foufounes électriques.

Même si la survie de la chanson québécoise, expression d’une culture minoritaire dans un environnement nord-américain, doit compter sur la volonté des pouvoirs politiques pour vivre et prospérer, une grande diversité continue de la caractériser. Un public nouveau accueille les rythmes hip-hop, ou Starmania, ce miracle qui se perpétue. N’oublions pas Céline Dion, la grande star internationale du Québec. Le succès se manifeste également avec l’opéra Notre-Dame de Paris de Luc Plamondon et Richard Cocciante. Si les artistes québécois ont un immense succès actuellement en France, n’est-ce pas là un des signes de la santé et de la grande vitalité de la chanson francophone québécoise?

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