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L’essai au Québec

François Gallays

Professeur retraité
Université d’Ottawa

Nul genre littéraire n’est plus protéiforme que l’essai. Touche-à-tout, comme le roman, l’essai n’est cependant pas un texte de fiction; il s’efforce de maintenir un rapport étroit avec le réel et se présente très souvent comme le chevalier servant de la vérité.

Au Canada français, l’essai a proliféré. La précarité de son existence ainsi que les crises politiques qu’il a connues auraient favorisé son essor. Cela s’est confirmé au moment de la « Révolution tranquille ».

Lors de la profonde remise en question qu’entreprenait la société québécoise au début des années 1960 sont parus des essais à considérer comme des textes fondateurs tant ils paraissent répondre aux questions graves que se posaient alors les hommes et les femmes engagés dans ce grand tumulte sociétal : « Qui sommes-nous? Que voulons-nous? Où allons-nous? » « La fatigue culturelle du Canada français » d’Hubert Aquin est incontestablement un de ceux-là. Publié en mai 1962 dans la revue Liberté, ce texte peut se lire comme une tentative de légitimer les aspirations sociopolitiques des Canadiens français. L’auteur y affirme notamment que ceux-ci constituent un groupe culturellement homogène et qu’il a le droit s’il en décide ainsi de se constituer en une « Nation-État ».

Si dans sa première partie, Aquin se révèle habile dialecticien, dès qu’il aborde la « fatigue culturelle » des Canadiens français, dans la seconde, son discours devient plus personnel : « Je suis, dit-il, fatigué de mon identité atavique et condamné à elle. […] La culture canadienne-française vit […] une existence faite de sursauts et d’affaissements ». Le salut? La réponse, citant Roland Barthes, est radicale : la Révolution!

En 1964, Fernand Ouellette, poète de grand renom, publie dans Liberté « La lutte des langues et la dualité du langage ». L’auteur, déplorant le mauvais état du français au Québec – qui serait attribuable au contexte bilingue –, argue qu’il faudrait, pour le sauver, imposer l’unilinguisme dans la province. Un tel diagnostic lui serait venu d’une expérience personnelle affligeante. Jeune poète, il s’aperçut que sa langue maternelle était le franglais et qu’il devait donc apprendre une nouvelle langue. Cette douloureuse expérience, indéfiniment multipliée, aurait façonné la psyché collective des Québécois. D’où la recommandation du poète. Par la nature radicale de celle-ci, Ouellette se rapproche de la position d’Hubert Aquin.

À la même époque, Gaston Miron développait aussi une réflexion sur la langue qui allait aboutir en une série d’articles parus entre 1965 et 1974. « Un long chemin » (1965) témoigne de la prise de conscience de son état de colonisé. Empruntée aux penseurs de la décolonisation (Albert Memmi et Frantz Fanon), cette référence à la psychologie coloniale sera au centre de sa réflexion théorique qui s’observe dans « Décoloniser la langue » (1973) et dans « Le bilinguisme de naissance » (1974), où le recours au politique comme remède aux maux linguistiques est désormais évoqué dans sa forme la plus radicale : « La lutte des langues est une lutte à finir, et c’est la lutte de libération nationale du peuple québécois. »

Contemporain des textes de Miron, puisqu’il fut rédigé entre 1961 et 1971, l’essai de Jean Bouthillette, Le Canadien français et son double (1972), est une analyse de nature psychanalytique de la collectivité canadienne-française. Tout commence par un profond traumatisme : la Conquête. Ce serait à partir de ce moment que les Canadiens se seraient peu à peu transformés en Canadiens français parce qu’ils durent abandonner une part de leur identité au profit de l’Autre. Cette dépersonnalisation collective se serait accrue avec la Confédération de 1867 qui eut pour effet de réduire l’identité du Canadien français à sa langue et d’en limiter l’usage au Québec.

Selon Bouthillette, ces mesures de colonisation eurent des effets dévastateurs. De virils et vigoureux que furent les Canadiens français, ils devinrent frileux et peureux, et acquirent un immense complexe d’infériorité. La guérison? Retrouver collectivement son instinct de liberté. La force de l’argumentation de Jean Bouthillette constitue aussi sa faiblesse, car à toujours radicaliser les positions et les oppositions, il finit par tomber dans la mythification.

À la même époque, l’activiste Pierre Vallières crut avoir trouvé dans le marxisme le cadre de réflexion et d’action qui eût permis de faire sortir le Québec de son immobilisme. Nègres blancs d’Amérique (1968) est la relation de cette prise de position extrême. Avec le temps, on finira sans doute par penser que ce qui reste de percutant de cet ouvrage, c’est son titre même, tant l’armature théorique du marxisme et sa praxis (la lutte armée) semblent aujourd’hui tombées en désuétude. Mais à sa publication, cet essai fit grand bruit.

Avec Le joual de Troie (1973) de Jean Marcel, la frontière entre le pamphlet et l’essai s’estompe, car les deux désignations génériques lui conviennent indubitablement. Montée aux barricades contre Place à l’homme/ Éloge du français québécois (1971) d’Henri Bélanger et Une culture appelée québécoise (1972) de Giuseppe Turi, cet ouvrage est un plaidoyer en faveur du français sans distinction. Face à ces auteurs qui maintiennent qu’il existe une langue québécoise dont on devrait encourager l’usage, Jean Marcel soutient, au contraire, qu’il n’existe aucune solution de continuité entre la langue française et la langue des Québécois.

À côté des essayistes précédents, les dominant tous, se dresse Fernand Dumont. Sociologue et universitaire, celui-ci n’a jamais cessé de s’interroger au sujet du Québec. À l’origine de son interrogation : une fissure, profonde et inguérissable, qui apparut lorsqu’il dut quitter le foyer familial ouvrier pour continuer ses études. « Dès que la conscience apparaît », dit-il dans Le lieu de l’homme (1968), « le monde réel perd de son unité. L’homme, autant que son habitat, devient l’image de lui-même. » Cette double fracture, nécessaire à la naissance de la culture, se répétera dans ses œuvres de diverses façons. Dans Genèse de la société québécoise (1993), Dumont propose le concept de « référence » pour définir ce que sont aujourd’hui devenus les Québécois. Pour Dumont, la référence surgit lorsqu’une communauté amorce une représentation d’elle-même, geste qui présuppose une cassure. Et cette référence ne reçoit son achèvement, affirme-t-il dans Récit d’une émigration, que lorsqu’elle est objectivée, quand elle se fait « discours ». Quels discours? L’idéologique, l’historique et le littéraire, répond l’auteur.

On le constate, les essais majeurs du dernier demi-siècle ont accompagné le Québec dans sa rapide évolution. Une fois qu’ont eu lieu les grands chambardements socioculturels et qu’ont été mis en place les dispositifs idéologiques et politiques essentiels à une éventuelle redéfinition de la société québécoise, les essayistes de combat se sont tus. Sauf Dumont, qui s’est inquiété de l’amnésie qui, aujourd’hui, semble avoir frappé tant de Québécois. Les questions posées dans l’introduction de ce texte seraient-elles toujours d’actualité?

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