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Les gentilés du Québec

Jean-Yves Dugas

Linguiste retraité
Commission de toponymie du Québec

Tant le terme gentilé que le phénomène qu’il sous-tend paraissent désormais bien intégrés à la culture québécoise, quoique l’engouement pour la dénomination collective remonte à 25 ans à peine au Québec. Ce que cette quête onomastique perd en extensivité temporelle, elle le gagne en fébrilité, en enthousiasme et en urgence de la nomination rarement égalés, du moins en Amérique du Nord.

Le terme gentilé

Ce terme technique remonte à 1752. Vers la fin des années 1940, estimé désuet, il devait être retiré des dictionnaires français courants, cédant le pas au terme ethnique, beaucoup moins précis et adéquat. Cependant, à compter de 1980, la grande majorité des ouvrages lexicographiques québécois consignaient de manière systématique ce terme en entrée, en lui associant la définition : « nom (collectif) des habitants d’un lieu (pays, province, région, ville, etc.) ». L’Office de la langue française d’alors consacrait la légitimité de gentilé par un avis de recommandation publié dans la Gazette officielle du Québec, le 6 mars 1982. Cette reconnaissance, tant administrative que lexicographique, était tributaire des travaux menés à cette époque par le responsable de la recherche de la Commission de toponymie du Québec qui, convaincu de la justesse et de l’originalité de ce terme, en a assuré la promotion de manière incessante. Cette systématicité et cette opiniâtreté allaient porter fruit et entraîner la réinsertion de ce mot dans le vocabulaire courant français, grâce à sa consignation dans Le nouveau petit Robert, en 1994, et dans Le petit Larousse illustré, dans son édition de 1996, témoignages éloquents de l’exceptionnelle vivacité de l’entreprise québécoise.

La brève histoire du phénomène des gentilés au Québec

À compter de 1979, la Commission de toponymie du Québec, organisme d’État dont le mandat est orienté vers la collecte, le traitement, l’officialisation et la diffusion des noms de lieux, contribue à l’essor de la préoccupation gentiléenne, en lui permettant, d’une part, de se voir attribuer un statut reconnu et, d’autre part, de bénéficier d’un précieux canal de diffusion. Puisque le gentilé est obligatoirement tiré d’un nom de lieu, ce champ d’activité trouvait ainsi toute sa justification.

Une plaquette publiée par la Commission, Répertoire de gentilés (nom des habitants) du Québec (1981), sous la plume du toponymiste Jean-Yves Dugas, contribue à canaliser les efforts en cette matière en répertoriant quelque 428 dénominations et en sensibilisant la population du Québec à l’importance de la dénomination collective. Dans la suite des choses paraissait, en 1987, le Répertoire des gentilés du Québec, du même auteur, version remaniée et augmentée ─ plus de 1000 entrées inédites ─ de l’ouvrage signalé plus haut. Un supplément à cet ouvrage, publié en 1995, témoigne, grâce à ses 230 nouvelles entrées, d’une vitalité certaine et de la pérennité de l’intérêt dénominatif des gens de la province. À ce jour, quelque 1900 dénominations-gentilés font partie du corpus onomastique québécois.

Les caractéristiques du corpus des gentilés québécois

Se préoccuper des gentilés est un phénomène relativement récent. En effet, peu de désignations comme Chicoutimien, Gaspésien, identifiant des groupes amérindiens, remontent à l’époque de la Nouvelle-France. Il est vrai que certains noms de lieux anciens, tels Québec, Montréal et Trois-Rivières, ont suscité les appellations Québécois, Montréalais ou Montréaliste et Trifluvien, attestées aux 18e et 19e siècles, mais il s’agit là de faits exceptionnels. C’est à compter de 1950 que le phénomène se manifeste, d’abord timidement, comme véhicule du sentiment d’appartenance à un coin de pays donné, avant de connaître une croissance exponentielle au début des années 1980, grâce à divers facteurs sociaux et politiques.

Envisagé du point de vue de la langue, le corpus des gentilés s’alimente aux diverses communautés linguistiques qui peuplent le territoire québécois. Si le français est très largement représenté par des désignations comme Sherbrookois (Sherbrooke) ou Charlesbourgeois (Charlesbourg), l’anglais peut compter sur Brownsburger (Brownsburg) ou Rawdonite (Rawdon). Les diverses nations amérindiennes se joignent au concert des gentilés québécois avec l’algonquin Abitibiwini ou Abitibiwinni (Pikogan) ou le mohawk Akwesashronon (Akwesasne). Enfin, les Inuits sont bien représentés grâce aux formes en inuktitut telles Kuujjuamiuq (Kuujjuaq) ou Akulivimmiuq (Akulivik).

Un autre trait typique du domaine des gentilés au Québec réside dans le fait que pas moins de 1110 autorités municipales ont pris une décision administrative importante en consacrant par voie de résolution le nom attribué à leurs citoyens. Ce geste, exceptionnel dans toute la francophonie, témoigne du respect et de l’importance qu’on accorde à la création d’un gentilé à ce niveau administratif.

Les principales règles de formation des gentilés

L’élaboration d’un gentilé doit reposer sur quatre qualités essentielles afin qu’il puisse être constitué de manière acceptable et, par le fait même, viable : la clarté, qui doit permettre de saisir le rapport entre le nom du lieu en question et celui de ses habitants; la brièveté, puisque la création d’un gentilé a pour objet de pouvoir substituer celui-ci à de longues expressions périphrastiques du type les habitants de…, les citoyens de…; la consonance harmonieuse, car toute forme désagréable à l’oreille ou étrange serait immédiatement écartée; l’absence de marque péjorative, pour prévenir toute création susceptible de donner naissance à des jeux de mots ou à des plaisanteries hypothéquant l’intégration du nouveau gentilé dans l’usage.

En général, le gentilé est formé par l’adjonction d’un suffixe approprié à une base constituée par le nom d’un lieu particulier; les principales terminaisons sont : -ois (Québécois), -ais (Blanc-Sablonnais), -ien (Bas-Laurentien), -ain (Témiscouatain).

Pour les toponymes complexes, le gentilé peut découler de l’ensemble du nom de lieu (Mont-Jolien, de Mont-Joli) ou de l’un de ses composants (Falardien, de Saint-David-de-Falardeau).

Dans le cas où le nom de lieu se termine par une voyelle et engendre un hiatus, on a recours à une consonne intercalaire (Almatois, d’Alma).

Quant aux toponymes à structure particulière, on peut recourir à la dérivation latine et adjoindre un suffixe français au nom de lieu préalablement transposé en latin (Fidéen, du latin fides, fidei « foi », pour Sainte-Foy).

En ce qui concerne les gentilés tirés des langues amérindiennes, ils proviennent de la transposition du toponyme originel auquel on adjoint un élément suffixal signifiant « gens de » (le montagnais Pessiamiulnu, « habitant de Pessamit »).

Les gentilés inuits sont formés du toponyme concerné auquel on ajoute le suffixe -miuq au singulier et -miut au pluriel, « habitant (ou habitants) de » (Kangiqsujuamiuq, de Kangiqsujuaq).

Somme toute, la constellation des dénominations de type gentiléen qui émaillent le paysage dénominatif québécois est constituée d’autant de facettes éclatantes de la personnalité des habitants d’ici, dénommés suivant leurs nombreux particularismes.

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