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Le folklore au Québec

Jean Du Berger

Professeur retraité
Université Laval

Créé en 1846 par William Thoms par la juxtaposition de folk (« peuple ») et de lore (« savoir »), le mot folklore désignait le savoir du peuple ou la connaissance de ce savoir du peuple. En 1982, l’Unesco précisait le sens contemporain du mot : « les modes d’expression verbale comme les contes, la poésie populaire, les devinettes […], les modes d’expression musicale comme la chanson folklorique et la musique ». Pour nous, le folklore (« tradition orale », « littérature orale ») désigne les mythes, contes, légendes et chansons transmis de bouche à oreille, de génération en génération, qui constituent le patrimoine immatériel d’une communauté.

Les deux principaux genres de la littérature orale sont le conte et la légende. Situé hors de l’espace et du temps du conteur et de son auditoire, le conte n’est pas objet de croyance et sa fonction est de divertir. La légende est située dans l’espace-temps du conteur et de son auditoire. Objet de croyance, elle remplit une fonction de contrôle social.

Au Canada français, des écrivains du 19e siècle ont puisé dans la littérature orale des sujets d’inspiration. En 1837, dans le premier roman « canadien », L’influence d’un livre de Philippe Aubert de Gaspé fils (1814-1841), le chapitre « L’étranger » reprend la légende du Diable beau danseur. Dans le cadre de l’École littéraire de Québec, l’abbé Henri-Raymond Casgrain (1831-1904), Louis Fréchette (1839-1908), Joseph-Charles Taché (1820-1894) et surtout Philippe Aubert de Gaspé père (1786-1871) ont publié des « légendes » où défilent diables, revenants, feux-follets et loups-garous. En ce qui touche le conte, Paul Stevens (1830-1881) publia Contes populaires en 1867. Quant à la chanson, le recueil Chansons populaires du Canada d’Ernest Gagnon (1834-1915), publié en 1865, demeure un des grands témoins de la tradition chantée.

L’anthropologue Marius Barbeau (1883-1969) fut le premier à recueillir le répertoire des conteurs. Il commença ses recherches en 1911 auprès de la nation Wendat et les poursuivit en Beauce, en Charlevoix et en Gaspésie. Luc Lacourcière (1910-1989) et Félix-Antoine Savard (1896-1982) ont repris les enquêtes et fondé les Archives de folklore de l’Université Laval en 1944. En 2007, ces archives constituent un des grands fonds de la francophonie consacrés au folklore. Elles comprennent 75 000 enregistrements de chansons traditionnelles, 10 000 enregistrements de contes et légendes. Écouter tout ce matériel, à raison de huit heures par jour, prendrait trente ans. Mentionnons deux chercheurs qui, en Acadie et en Ontario français, ont aussi travaillé à la sauvegarde du folklore : le père Anselme Chiasson (1911-2004), né à Chéticamp (Nouvelle-Écosse), et le père Germain Lemieux (1914-2008), né en Gaspésie.

Dans le champ des contes merveilleux, comme les contes de La fuite magique, de La bête-à-sept-têtes ou de L’homme à la recherche de son épouse disparue, le héros doit affronter un adversaire surnaturel dont il triomphe grâce à l’aide de l’au-delà. Les contes merveilleux reprennent un même canevas : nous avons l’impression d’entendre la même histoire avec des jeunes gens qui prennent la route, des princesses prisonnières, des rois tyranniques, des fées ombrageuses et des animaux secourables. Dans le conte religieux, des saints et Dieu lui-même remplacent les fées et les esprits pour secourir ou punir les humains. Quant au conte « romanesque », il ne fait plus appel au merveilleux, mais, dans ce genre littéraire, les personnages connaissent un sort tragique. Dans le fabliau, l’intelligence lutte contre la force ou la stupidité. Les adversaires sont un seigneur, un voisin, un bourgeois ou un clerc. Fresque haute en couleurs avec maris bernés, clercs cyniques, épouses délurées, paysans « ratoureux ». Le rire populaire triomphe des puissants et des sots.

Dans l’univers légendaire du Canada français, le Diable prend la forme d’un justicier, d’un possesseur et d’un pactiseur. Justicier, il fréquentait les lieux où l’on dansait et tentait d’enlever la plus belle des danseuses. Sous la forme d’un chien noir, il étranglait des « sacreurs ». Il punissait aussi ceux qui travaillaient le dimanche et pouvait même s’emparer d’un être humain ou prendre possession des Forges du Saint-Maurice. En échange de leur âme, le Diable faisait des pactes avec des hommes. Sous forme de cheval, il transporta des pierres pour construire des églises; vêtu de noir, il collabora à la construction du pont de Québec. Un pacte permettait à des bûcherons de s’envoler dans un canot d’écorce pour aller danser. Le Diable a aussi pactisé avec Gamache, le « sorcier » de l’île d'Anticosti, et, les soirs sans lune, achetait à gros prix une poule noire à la croisée des chemins.

Le Diable n’est pas la seule figure des récits légendaires. Nous y trouvons aussi les fées sous forme de dames blanches et les esprits domestiques sous forme de lutins et les feux follets. La Dame blanche pouvait être sainte Anne, la Vierge Marie, le fantôme d’une fille qui se jeta dans les chutes Montmorency ou une sorcière amérindienne qui noyait les voyageurs. La nuit, les lutins montaient des chevaux. Sous forme de petits bonshommes gris, ils étaient aussi gardiens de trésors. De son côté, le feu follet entraînait des voyageurs vers des marais. Quant au loup-garou, un homme condamné à se transformer en loup pour n’avoir pas communié à Pâques, il s’attaquait aux passants.

Un domaine légendaire particulièrement riche est celui des morts qui reviennent sous la forme de morts suppliants, de morts pénitents, de morts débiteurs, de morts agresseurs ou tout simplement d’« âmes en peine ».

Les légendes « historiques » portent sur des athlètes comme Jos Montferrand et Alexis le Trotteur. Le père Labrosse et le père Ambroise Rouillard sont entrés dans la légende, grâce à leur don de prophétie, comme de simples curés qui ont « arrêté » des incendies ou des inondations. Les trésors cachés constituent aussi un thème qui revient souvent dans les récits légendaires. Pour terminer, mentionnons l’ermite de l’île Saint-Barnabé, Toussaint Cartier, l’arpenteur Fournier, qui se noya dans la rivière Matapédia, Madeleine de Repentigny et la lampe qui brûle à perpétuité chez les ursulines de Québec et Blanche de Beaumont, qui se noya pour échapper à des pirates, dont le navire fut changé en pierre tout près du rocher Percé.

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