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Les langues autochtones du Québec

Lynn Drapeau

Professeure
Université du Québec à Montréal

On estime qu’environ 300 langues distinctes étaient parlées en Amérique du Nord avant l’arrivée des Européens. Elles peuvent être regroupées en une cinquantaine de familles différentes. Une famille linguistique est constituée d’un ensemble de langues possédant des caractéristiques communes dont on peut démontrer, en les comparant systématiquement, qu’elles sont attribuables à un ancêtre commun. Cette diversité linguistique est d’une inestimable richesse parce qu’elle offre une vitrine incomparable de la variété de formes que peut adopter le langage humain et sur les cultures qu’il incarne.

Les familles linguistiques algonquienne, iroquoienne et eskimo-aléoute

Le Québec comprend trois familles linguistiques autochtones.

En premier lieu, on distingue la famille algonquienne. Elle est représentée par sept langues : le cri (près de la baie James), l’attikamek (en Haute-Mauricie), l’innu-montagnais (au Lac-Saint-Jean et sur la Côte-Nord), le naskapi (à Kawawachikamach, anciennement Schefferville), l’algonquin (en Abitibi-Témiscamingue et en Outaouais), l’abénakis (dans la région de Sorel et de Trois-Rivières), le micmac (en Gaspésie). Géographiquement la plus répandue en Amérique du Nord, cette famille comprend une trentaine de langues aux noms célèbres, comme le mohican, le saulteux, l’illinois, le massachussett, le delaware, le cheyenne et le pied-noir. Quatre langues étroitement apparentées sont unies en un complexe dialectal québécois appelé cri-montagnais-naskapi et reliées aux variétés de cri parlées à l’ouest de la baie James. L’algonquin d’Abitibi-Témiscamingue se rattache à l’ojibwé de l’Ontario. Enfin, l’abénakis et le micmac du Québec sont unis aux langues de la branche orientale de la famille algonquienne, jadis très répandue en Nouvelle-Angleterre.

En second lieu, se classe la famille iroquoienne. Elle comprend le mohawk et le huron (éteint). Le mohawk se parle encore quelque peu, en banlieue de Montréal, à Kahnawake (Caughnawaga) et à Kahnesatake (Oka). Il a laissé des traces dans la partie québécoise d’Akwesasne (Saint-Régis), au sud-ouest de Valleyfield. Plusieurs autres langues regroupées dans l’Est nord-américain au moment du premier contact avec les Européens appartiennent à la famille iroquoienne.

En troisième lieu, on range la famille eskimo-aléoute, représentée par la langue des Inuits du Nunavik : l’inuktitut. Cette famille est répandue dans tout le Grand Nord canadien, en Alaska, au Groenland et en Sibérie.

Des langues polysynthétiques

Les langues autochtones ont toujours exercé une grande fascination sur les linguistes en raison de leurs divergences structurales en regard des langues européennes. Ainsi, celles du Québec sont de type polysynthétique, c’est-à-dire qu’il est courant d’y exprimer une phrase complète au moyen d’un seul verbe décomposable en plusieurs parties. Par exemple, en inuktitut, la phrase « as-tu déjà mangé de la viande de phoque? » s’exprime au moyen d’un seul mot natsiq-viniq-tuq-lauq-sima-vi-t-li, qui peut se traduire littéralement par « phoque-viande-manger-avant-déjà-interrogatif-tu-mais ».

En raison de leur caractère polysynthétique, les langues algonquiennes et iroquoiennes, tout comme l’inuktitut, possèdent des mécanismes de formation de mots complexes très variés. Cela leur vaut souvent d’être qualifiées à tort d’imagées. Cette caractéristique qu’on leur attribue ne signifie pas qu’elles soient automatiquement simples et concrètes. La richesse des mécanismes de formation de mots dans les langues autochtones favorise grandement la créativité lexicale et une part importante de leur apprentissage consiste à maîtriser l’art de manipuler des suites de morphèmes abstraits pour créer des mots complexes.

L’inventaire des parties du discours varie dans les langues du monde. Ainsi, certaines langues autochtones ne possèdent pas d’articles. D’autres n’ont pas d’adjectifs, mais utilisent des verbes ou des noms pour exprimer les qualités. C’est le cas des langues du complexe cri-montagnais-naskapi, où tout ce qui est normalement exprimé au moyen d’un adjectif en français le sera plutôt au moyen d’un verbe en fonction de la personne, du nombre, du mode et du temps. Ainsi, « tu étais malade » sera exprimé au moyen d’un verbe conjugué comme suit : tu-malade-passé.

Quant aux personnes grammaticales, plusieurs langues autochtones distinguent deux premières personnes du pluriel, selon que l’interlocuteur est inclus ou exclus. Ainsi, les langues algonquiennes font la différence entre tshîlânu « toi et moi » et nîlân « eux et moi » et les conjugaisons verbales y prennent des formes spécifiques, selon que la première personne est inclusive ou exclusive. Le mohawk partage cette propriété. Ce dernier et l’inuktitut ont deux types de pluriels : le duel (« nous-deux », « vous-deux », « eux-deux ») et le pluriel impliquant trois personnes ou plus.

Quant au genre, le mohawk établit une distinction grammaticale entre le masculin, le féminin et le neutre, alors que les langues algonquiennes distinguent les noms de genre animé (êtres vivants) et ceux de genre inanimé (non vivants). Cette division de genre entre l’animé et l’inanimé se répercute sur la morphologie des verbes en vertu des règles d’accord en genre avec le sujet et l’objet, contribuant ainsi à la complexité proverbiale des paradigmes verbaux de ces idiomes.

Le système d’écriture

Les langues autochtones étaient utilisées exclusivement pour la communication orale. Aujourd’hui, la plupart d’entre elles possèdent un système d’écriture. Certaines nations, comme les Algonquins, les Innu-Montagnais, les Micmacs, les Attikameks et les Mohawks (qu’en français on appelle aussi les Agniers) utilisent l’alphabet romain, où l’unité de transcription est le son. En revanche, les Inuits, les Naskapis et les Cris utilisent une écriture à base syllabique. Il s’agit d’un système très simple qui emploie une dizaine de symboles représentant chacun une syllabe que l’on fait pivoter selon le timbre de la voyelle.

L’avenir du patrimoine linguistique autochtone

De nombreux toponymes mis à part, le français québécois a subi peu d’influence des langues autochtones. On ne signale qu’un petit nombre d’emprunts (touladi, chicouté, toboggan...). Mais, en Amérique du Nord, quatre siècles de contact avec les langues européennes ont entraîné la disparition de nombreuses langues autochtones et celles qui ont survécu sont aujourd’hui menacées, faute d’être transmises adéquatement comme langue première aux jeunes générations. Au Québec, des dix langues recensées, neuf sont encore parlées. Le huron s’est éteint dès le début du 20e siècle. L’abénakis est en voie de disparition et la situation de l’algonquin et du mohawk est préoccupante. Il importe de soutenir la transmission intergénérationnelle, mais aussi la documentation et l’archivage pour que le patrimoine linguistique autochtone puisse être préservé pour les générations futures.

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