Table des matières
(voir aussi l’article La législation linguistique du Québec)
La langue française est introduite sur les rives du Saint-Laurent par la colonisation française (fondation de Québec en 1608). À cette époque, le « français du roy » coexistait en France avec un grand nombre de dialectes correspondant plus ou moins aux anciennes provinces. Selon l’origine linguistique, nos ancêtres se répartissaient en trois groupes : les francisants (Île-de-France et régions environnantes; 25 % de la population initiale), les dialectisants connaissant le français et capables d’en faire usage (30 %) et les dialectisants à qui le français était moins familier (45 %). Malgré ces différences, l’unité linguistique de la colonie autour du français de Paris se réalise rapidement à la fin du 17e ou au début du 18e siècle, plus tôt qu’en France où elle s’amorcera à partir de la Révolution. Deux raisons principales expliquent ce fait. D’abord, la cohabitation forcée des émigrants dans un étroit territoire mélange les dialectes d’origine; ensuite, le français du roy est la langue des autorités politiques (donc de l’administration de la colonie) et religieuses (par conséquent, de la pratique de la religion, des services de santé et des écoles), la langue des seigneurs et de l’administration seigneuriale. Des traces de la langue de cette époque subsistent, surtout dans le lexique (exemples : achalandage, batture, brunante, creux au sens de profond, etc.). C’est la plus ancienne source de ce qu’on appellera par la suite les « québécismes ».
À leur arrivée, les Français entrent en contact avec les différentes tribus amérindiennes. Les relations sont amicales et plus soutenues qu’aujourd’hui. Les missionnaires, les coureurs des bois et, plus tard, les explorateurs apprennent les langues amérindiennes, les uns pour évangéliser les peuples, les autres pour satisfaire aux besoins du commerce des fourrures ou à l’occasion de la découverte du territoire. De nombreux mots entrent alors dans la langue française des colons pour désigner des peuples ou des lieux (Hochelaga, Mingan, Rimouski, Québec, Shawinigan, Shipshaw, etc.) ou des réalités de leurs cultures ou du pays (achigan, anorak, igloo, kayak, maskinongé, mocassin, squaw, wigwam, etc.). C’est la deuxième source de québécismes, plutôt tarie aujourd’hui.
La langue anglaise est brutalement introduite dans ce qui était la Nouvelle-France par la défaite des troupes françaises en 1760. Le conquérant interdit les relations avec la France. Les conséquences sont de deux ordres. D’abord, le français d’ici évoluera en marge de celui de France, du moins jusqu’à la reprise des relations une centaine d’années plus tard, ce qui augmentera l’écart entre les deux usages : celui qui s’instaurera en France à partir de la Révolution et celui qui s’était établi en Nouvelle-France et qui sera conservé par esprit de résistance. Ensuite, les relations commerciales étant interdites, les marchands français se trouvent coupés de leurs fournisseurs et de leurs créanciers, en même temps que les marchands anglais de la côte Est se précipitent dans la nouvelle colonie britannique pour occuper le terrain. L’anglais s’impose comme langue du commerce et des affaires et, par la suite, à même les profits réalisés, comme langue de l’industrialisation au milieu du 19e siècle. La langue anglaise devient la langue dominante, la langue du succès économique, avec, comme conséquence sociale, la concurrence entre le français de la majorité et l’anglais de la minorité, et, comme conséquence linguistique, la lente anglicisation de la langue française. Une foule de mots anglais pénètrent dans le français d’ici, parmi lesquels il sera toujours difficile de distinguer les mots indispensables, les emprunts, des mots inutiles, les anglicismes. C’est la troisième source de québécismes.
Ainsi s’est constitué l’arrière-plan sociolinguistique de la problématique actuelle du français au Québec, dont tous les éléments gravitent autour de l’incontournable variation du français du Québec par rapport à celui de France. L’unanimité existe quant au fait que certaines variantes lexicales (les québécismes de bon aloi) sont indispensables, mais leur identification est devenue l’épicentre d’une éternelle querelle d’opinion. Les Québécois sont, en général, convaincus de la nécessité de conserver une grande qualité à la langue française en usage au Québec, mais ne s’entendent pas quand il s’agit d’en définir et d’en décrire la composition. Enfin, la concurrence se maintient entre le français et l’anglais, intensifiée aujourd’hui par le rôle de l’anglais comme langue internationale.
La loi 101, la Charte de la langue française, a modifié le rapport entre l’anglais et le français, surtout en imposant l’emploi du français comme langue du commerce et des affaires et comme langue de travail, réduisant d’autant le rôle de l’anglais dans ces domaines. La Charte a rendu obligatoire la scolarisation en français des francophones et des allophones, et favorisé l’intégration linguistique des immigrants. Le statut de l’anglais et du français se modifie; le français est déclaré seule langue officielle du Québec, et il acquiert une motivation économique qui en fait une langue maintenant indispensable; la langue anglaise est devenue, comme dans tous les autres pays, une langue utile, souvent nécessaire. La vitalité du français s’est accrue, d’où une créativité lexicale abondante, quatrième et principale source actuelle de québécismes (classe d’accueil, courriel, décrocheur, dépanneur, infographiste, pourvoirie, réseautage, etc.).
On ne peut, cependant, intervenir en faveur de la qualité de la langue par voie législative. Sur ce plan, la stratégie se fonde sur la diffusion de la langue standard par l’administration publique, les médias et la publicité, pour en donner l’exemple et en généraliser la connaissance. Par ailleurs, cette stratégie s’appuie sur divers ouvrages de référence : travaux correctifs, dictionnaire de difficultés, dictionnaire historique, dictionnaire descriptif à tendance normative et dictionnaire terminologique disponible dans Internet. En principe, l’enseignement du français et en français dans les écoles devrait assurer la connaissance de la langue standard, mais cet objectif est loin d’être atteint. Enfin, la littérature québécoise a explosé dans tous les styles et dans tous les genres.
La promotion d’un français de qualité au Québec se heurte cependant à une difficulté fondamentale : l’existence d’une norme québécoise du français standard est toujours contestée, en même temps qu’on admet qu’elle ne peut être identique en tous points à la norme française ou européenne. De plus, le français populaire parlé acquiert une certaine légitimité, ce qui semble faire cohabiter au Québec deux normes du français, l’une inspirée du français populaire, l’autre, du français soutenu. Les Québécois n’arrivent pas à sortir de ce paradoxe.