Les deux principes suivants ont présidé aux choix raisonnés qui dirigent la transcription « phonétique » des entrées du dictionnaire : le réalisme et l’économie.
Par réalisme, il faut entendre une transcription qui soit fondée sur les faits réels de la prononciation du français québécois standard telle qu’on peut l’observer dans les manifestations officielles de la parole publique, essentiellement dans les émissions d’information et d’affaires publiques des réseaux publics (non commerciaux) de radio et de télévision. En effet, ils représentent les principales tribunes modernes des instances officielles définissant la norme. Cette position de principe a pour but d’assurer à la transcription le plus fort degré possible de représentativité et, partant, de légitimité sociale. Cette référence qu’on appelle communément et traditionnellement « le style Radio-Canada » est en fait beaucoup plus largement répandue dans les faits maintenant, mais reste tributaire de la prédominance historique de cette institution particulière à un moment donné.
Par économie, on entend l’observation d’une ligne de conduite qui favorise la valeur de généralité résultant de la cohérence des positions retenues. Elle évite la dispersion produite par la multiplication des variantes ou même de la simple notation de faits secondaires hétérogènes (comme le phénomène très mineur de la gémination des consonnes, p. ex. dans grammaire [gʀammɛʀ], mais non dans grammatical [gʀamatikal]). Cette ligne de conduite permet ainsi d’écarter toute redondance jugée inutile.
C’est donc dire, de toute façon, que la transcription retenue ne peut être, au total et non pour chaque entrée particulière, qu’un compromis justifié entre phonologie, la forme canonique de la structure sonore des mots, et phonétique, sa réalisation concrète observable dans la variété retenue comme référence.
Les sons du langage, ou phonèmes, ne sont pas immuables; ils changent au cours de l’histoire, et ils le font parce qu’ils sont à chaque époque l’objet de variations phonétiques, dans toutes les langues du monde et dans toutes les variétés de celles-ci.
Une observation préliminaire indispensable est que les problèmes éventuels de choix entre les diverses variantes d’un phonème se situent surtout du côté des voyelles, qui sont universellement soumises à la variation à cause de leur nature même de phénomène de résonance. Les consonnes pour leur part, qui sont produites par des articulations de blocage du conduit vocal, à des degrés divers et en des points spécifiques, sont sujettes elles aussi à la variation, mais de façon plus étroite et prévisible. Ces propriétés découlent de la polarité naturelle de ces deux catégories de phonèmes, nonobstant les cas frontières des consonnes dites sonantes (nasales, liquides et semi-voyelles).
Retenir tout ce qui est phonologique implique d’écarter les phénomènes de variation automatique. Le cas par excellence est celui de l’affrication des consonnes dentales [t, d] en [ts, dz], seul phénomène différentiel d’avec le reste de la francophonie qui soit socialement neutre et à ce titre intégré dans la norme locale, comme le montre bien l’adoption spontanée par la plus grande part des immigrants. Du côté des voyelles, le relâchement des voyelles fermées [i, y, u] et leur harmonisation éventuelle ont été écartés aussi, même si ces phénomènes ne sont pas socialement neutres, sur la seule base du fait qu’ils sont de type automatique.
Sont donc retenus les phénomènes phonologiques suivants :
Les voyelles longues historiques [ɛ:, ɑ] du lexique français (en syllabe fermée finale, donc accentuable), du type bête, cadre. La question peut prêter à discussion, mais la longueur n’est pas notée en syllabe ouverte interne dans les mots dérivés, du type bêtise, encadrer, premièrement en raison du fait qu’elle y est moins facilement perceptible.
Le [ɑ] long historique présente une particularité : vu que la distinction de longueur s’accompagne toujours dans son cas d’une différence de timbre très perceptible (il est postérieur de façon redondante), et selon le principe de réalisme représentatif posé plus haut, le timbre postérieur [ɑ] est noté sans mention de la longueur, nonobstant le parallélisme souhaitable avec son pendant [ɛ:] long. Il découle de cette position que, comme pour [ɛ:], seul le timbre de [ɑ] postérieur est noté en position interne : bêtise a un simple [ɛ], encadrer a le timbre postérieur [ɑ] sans la notation de longueur : [bɛtiz], [ɑ̃kɑdʀe]. Un point de détail : le suffixe -ation est bien entendu noté dans sa variante moderne [-asjɔ̃], sans longueur ni timbre postérieur.
Les voyelles longues lexicales [i:, u:] des emprunts à l’anglais, du type jean [dʒi:n], pool [pu:l], qui se justifient en soi par opposition avec l’ensemble du lexique indigène et emprunté à d’autres langues (p. ex. glockenspiel [glɔkœnʃpi:l], mot allemand), indépendamment de toute distinction minimale potentielle du type gin [dʒin], poule [pul].
Le [œ̃], très stable en français québécois malgré sa faible représentation lexicale, compensée dans les faits par sa haute fréquence statistique dans le discours. Cette fréquence est due à la forte représentation du déterminant et du numéral un, des indéfinis quelqu’un, chacun, aucun, plus les noms alun, emprunt, parfum, l’adjectif commun et l’expression à jeun.
Les voyelles mi-fermées [ø, o] en syllabe fermée finale, du type neutre [nøtʀ], côte [kot]; ces timbres sont marqués, moins attendus dans ce contexte syllabique, mais très stables eux aussi. Selon le même principe invoqué précédemment, ce timbre se conserve dans les mots dérivés, du type neutraliser [nøtʀalize], côté [kote].
Le « h aspiré », qui est noté comme dans le Petit Robert par une apostrophe initiale.
h aspiré La lettre h par elle-même ne reçoit jamais de prononciation en français actuel. Ainsi, on parle de « h muet » dans les mots habileté, herbe, heure, histoire, homme, huile parce qu’ils font l’élision et la liaison tout comme ceux qui commencent directement par une voyelle : l’habileté, des heures. À l’opposé, on appelle « h aspiré » le h de hâte, herse, hibou, honte, huche parce que sans être prononcé lui non plus, il agit comme une consonne véritable en empêchant l’élision ([la’ɑt], non *[lɑt] pour la hâte) et la liaison ([le’ibu], non *[lezibu] pour les hiboux).
Toutefois, cette distinction est aujourd’hui entièrement arbitraire. Sa motivation est purement historique parce que dans la langue standard, la consonne aspirée d’origine a cessé d’être prononcée vers le 15e siècle. Ainsi, la répartition des mots entre « h muet » et « h aspiré » est une pure convention d’usage héritée de la tradition.
La plupart des mots en « h aspiré » sont des emprunts anciens faits à partir du 5e siècle au francique (hareng, hune). Certains sont des emprunts ultérieurs, à différentes époques, faits à d’autres langues germaniques en contact (hanche, houle au germanique ancien; hisser, hutte à l’allemand ancien; havre, houblon au néerlandais; halte, havresac à l’allemand moderne; haddock, héler à l’anglais), et même à l’arabe (harem) ou à l’espagnol (havane). D’autres encore sont des créations onomatopéiques (hoquet, huer) ou des « reformulations » à intention expressive (hérisser, hurler) passées dans l’usage avec leurs dérivés. Finalement, quelques mots ont acquis de toutes pièces le même comportement que ceux en « h aspiré » : les numéraux huit et onze, l’adverbe oui, les noms une, ouaouaron, ouistiti, les onomatopées ah, euh, oh.
L’irrégularité même du « h aspiré » fait qu’il est imprévisible et qu’on doit apprendre par cœur à mesure de ses apprentissages les mots qui le comportent, souvent à l’aide des listes des grammaires et manuels : héros est en « h aspiré », alors que héroïne et héroïsme sont en « h muet ». Dans la langue spontanée, cette irrégularité rend instables les mots porteurs, qui tendent soit à perdre leur « h aspiré » avec le temps (d’où l’erreur *[lezaʀiko] pour les haricots), soit à le spécialiser : en français québécois, handicap et handicaper ont gardé leur « h aspiré » d’origine, alors que handicapé l’a perdu. Pour sa part, haïr l’a perdu alors que haine l’a gardé. On observe également une certaine variation : on trouve à la fois [lə’ɑ̃gɑʀ] et *[lɑ̃gɑʀ] pour le hangar, parfois chez la même personne.
Dans la langue standard, « h aspiré » a donc le statut d’un phénomène archaïque mais néanmoins stable, et dont on ne peut prévoir l’avenir avec certitude tant il est soumis à l’action de facteurs de natures diverses.
La nasale vélaire [ŋ] dans les emprunts anglais (surtout dans le suffixe -ing) et éventuellement dans des emprunts à d’autres langues devant les consonnes vélaires [k, g] (p. ex. flamenco [flamɛŋko], de l’espagnol), à cause de l’assimilation universelle des consonnes nasales au lieu d’articulation de la consonne obstruante qui suit, toujours en suivant le principe déclaré de réalisme.
Cette disposition vise essentiellement deux phénomènes : les semi-voyelles prévocaliques et la partie prévisible de la distribution des deux A.
Il existe deux groupes d’exemples de semi-voyelles placées devant une voyelle. Le premier groupe est celui, toujours invariable, des « diphtongues légères » [ɥi, wa] correspondant aux graphies « ui, oi, oua » comme dans fruit, voile, ouaouaron, et qui font synérèse par nature.
Le deuxième groupe est celui des voyelles simples [i, y, u] devant une autre voyelle, dont l’immense majorité est invariable à l’intérieur du morphème, comme dans pied [pje], fiole [fjɔl], lui [lɥi], fouine [fwin], mots toujours prononcés comme monosyllabiques à cause de la règle générale qui fait passer une voyelle fermée à la semi-voyelle correspondante quand elle est devant une autre voyelle.
Il faut ajouter que les voyelles simples [i, y, u] précédées d’un groupe de consonnes composé d’une obstruante et d’une liquide ne passent jamais à la semi-voyelle correspondante : les mots plier [plie], cruel [kʀyɛl], brouette [bʀuɛt], etc., sont toujours prononcés comme bisyllabiques, donc avec diérèse. Dans ces mots, qu’il y ait ou non composition morphologique, on ne note jamais la semi-voyelle supplémentaire qui brise souvent le hiatus, puisqu’elle est simplement une version consonantique automatique créée à partir de la première voyelle. Le Petit Robert, là-dessus, n’a pas changé sa position depuis la première édition de 1967 : il note systématiquement, mais inutilement, les [j] entièrement redondants issus de [i] (ouvrier, plier), mais jamais les [ɥ] issus de [y] (cruel, truelle) ni les [w] issus de [u] (brouette, clouer), qui devraient pourtant être notés en toute congruence…
Il s’avère nécessaire, à titre exceptionnel, de noter deux variantes représentatives de l’usage dans un nombre limité de mots comme lion, muet, nuage, nuance, louange et louer (le verbe louer lié au nom location reste pour sa part toujours monosyllabique). La variante avec semi-voyelle (synérèse) paraît en premier parce qu’elle représente la variante moderne, et la variante avec voyelle (diérèse) en deuxième : muet [mɥɛ] ou [myɛ], etc.
Malgré le fait qu’elle soit entièrement automatique, allophonique, la partie complémentaire de la distribution des deux A est invariable : on a [ɑ] postérieur en position finale et [a] antérieur partout ailleurs, de sorte que les deux voyelles de tabac [tabɑ], tracas [tʀakɑ], amas [amɑ], lama [lamɑ], etc., sont nécessairement données comme différentes.
Les deux A |
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Le français québécois standard, comme le français européen standard, comporte deux phonèmes de type A. Le premier est une voyelle ouverte postérieure, [ɑ], qu’on trouve dans deux contextes particuliers : à la fin des mots (là [lɑ], puma [pymɑ], trépas [tʀepɑ], appât [apɑ], chocolat [ʃɔkɔlɑ]), et quand la voyelle est longue (tasse [tɑs], hâte [‘ɑt], pâle [pɑl], cadavre [kadɑvʀ]), y compris dans les mots dérivés comme hâtif [‘ɑtif] ou pâlir [pɑliʀ] Partout ailleurs, on trouve la voyelle ouverte antérieure [a] : mariage [maʀjaʒ], bascule [baskyl], érable [eʀabl], etc., y compris dans les mots clitiques, c’est-à-dire ceux qui sont dépendants du groupe grammatical qui les suit et dont la voyelle, en conséquence de ce fait, n’est pas traitée comme étant finale. Il s’agit du déterminant et du pronom personnel la, des déterminants possessifs ma, ta, sa, du pronom ça quand il est sujet (ça avance [saavɑ̃s], ça se peut [saspø]), de la préposition à, et de l’adverbe là quand il est préposé à un autre adverbe (là-dedans [laddɑ̃], là-dessus [ladsy], là-bas [labɑ]). Certaines catégories de mots font exception à cause de leur histoire particulière : par exemple les mots comportant [wa] final (roi, fois, étroit, doigt) alors qu’une petite minorité de précisément six mots suit la règle et se prononce avec [wɑ] (bois, trois, mois, pois, poids, noix). Exceptionnels eux aussi, les mots écaille et médaille sont en [a], alors que la terminaison féminine -aille est traditionnellement longue (canaille, marmaille, paille, funérailles, etc.). Sont aussi prononcés exceptionnellement en [a] certains mots se terminant par une consonne allongeante : [ʀ] (gare, guitare, cigare); [z] (gaze, topaze, jazz); [ʒ] (tous les mots en –age sauf âge; nage peut avoir les deux prononciations selon le parler); et finalement [v] (bave, épave, etc. Esclave peut avoir les deux prononciations). Il faut ajouter finalement, parmi les mots exceptionnellement en [a], ceux qui sont constitués d’un redoublement expressif (papa, caca, tata, etc.) et quelques mots tronqués comme déca pour décaféiné. Beaucoup de [ɑ] postérieurs s’écrivent avec l’accent circonflexe (tâche, pâte, mâle, âne, blâme, âpre, mât, etc.). À l’origine, le circonflexe remplaçait un ancien [s] qui, en disparaissant de la fin de la syllabe, avait entraîné la postériorisation de la voyelle ainsi que son allongement par compensation de cette disparition. Ensuite, [ɑ] postérieur s’est étendu à d’autres contextes où la voyelle était devenue longue aussi (âge, basse, barre, théâtre, sabre; âme, damner), de sorte que beaucoup de mots fréquents s’écrivent pour leur part sans circonflexe. Le français québécois familier utilise pour le [ɑ] postérieur de la fin des mots une prononciation très arrondie qui le confond avec son voisin le [ɔ] ouvert, comme dans chocolat [ʃɔkɔlɒ], dont les trois voyelles sonnent de façon identique à l’oreille même si la dernière est indiscutablement une variante de A et les deux premières des [ɔ] ouverts. Ce [ɒ] très postérieur et très arrondi est socialement mal vu en contexte formel et fait l’objet de beaucoup de « corrections » dont le bien-fondé est très variable, car il donne lieu à des hypercorrections. Cette même voyelle est encore plus déconsidérée si elle diphtongue en [ɑu] comme fait aussi le [ɔ:] ouvert long, entraînant une confusion potentielle entre art et or, tard et tort, barre et bord, etc. qui donne lieu à beaucoup de jeux de mots d’un goût très variable lui aussi. |
Les cas de variation qui touchent les voyelles moyennes sont essentiellement dus à la tendance moderne (à partir du 17e siècle) à distribuer leur timbre ouvert ou fermé selon le type syllabique. Mais la situation est assez complexe et appelle des distinctions fondamentales.
Cette variation fait qu’on ne trouve que [ø, o] en syllabe ouverte finale de mot (p. ex. mieux [mjø], bateau [bato]), les correspondantes ouvertes [œ, ɔ] étant absolument exclues de ce contexte. En syllabe ouverte interne, la tendance est d’avoir le timbre mi-ouvert, sauf intervention de la morphologie, qui conserve le timbre mi-fermé du radical, comme pour feutrer, jeûner, hauteur, etc. La morphologie conserve aussi le timbre mi-fermé en fin de préfixe comme dans biodégradable [biodegʀadabl], au contraire du même « o » dans biologie [biɔlɔʒi], parce qu’il est cette fois final de radical. Les préfixes comportant deux [o] de syllabe ouverte, par exemple audio-, auto-, holo-, mono-, photo-, zoo-, se présentent sous leur version harmonisée pour éviter la multiplication inutile des variantes : deux voyelles identiques selon le cas, par exemple [fɔtɔgʀafi] pour photographie, contre [fotosɛ̃tɛz] pour photosynthèse.
La variation entre [o] et [ɔ] |
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La variation qui existe entre [o] et [ɔ] est semblable à celle qu’il y a entre [e] et [ɛ], mais avec des différences notables. Par exemple, seulement [o] fermé peut se trouver à la fin des mots, jamais [ɔ] ouvert, alors que les deux membres du couple [e] et [ɛ] se trouvent dans cette position; ainsi, les mots piano, bateau, plutôt, chaos, etc. ne peuvent finir qu’en [o] fermé. Devant les consonnes finales, les deux voyelles tendent à se spécialiser : on ne trouve que [o] fermé devant [z] (p. ex. rose) et que [ɔ] ouvert devant [ʀ] (p. ex. port), et jamais le contraire. Devant les autres consonnes, les deux voyelles sont possibles suivant les mots : hôte [ot] et hotte [‘ɔt], rôde [ʀod] et mode [mɔd], grosse [gʀos] et brosse [bʀɔs], ébauche [eboʃ] et empoche [ɑ̃pɔʃ], zone [zon] et bonne [bɔn], tôle [tol] et idole [idɔl], apôtre [apotʀ] et notre [nɔtʀ], etc. Dans l’immense majorité des cas, les formes dérivées de ces mots conservent le même timbre : hôtesse, grosseur, zonage, etc., restent en [o], et modiste, brosser, idolâtre, etc., restent en [ɔ]. Toutefois, la tendance moderne favorise [ɔ] ouvert dans les syllabes ouvertes non finales, de telle sorte qu’il a remplacé un ancien [o] fermé dans un certain nombre de mots (p. ex. hôpital [ɔpital], mauvais [mɔvɛ], sauvage [sɔvaʒ]), ou alors s’est imposé comme variante moderne alternative à côté de la prononciation traditionnelle en [o] dans des mots comme rôti, auberge, symptomatique, authentique, qui se prononcent aussi en [ɔ]. |
En syllabe ouverte finale de mot, l’opposition entre [e] et [ɛ] est maintenue en français québécois de façon très stable, indépendamment du fait que sa relation avec la graphie n’est pas constante : si -et, -ais, -ait font toujours [ɛ] (p. ex. alphabet, palais, parfait), -ai tout court se partage entre [e] et [ɛ] selon les mots : mai [me], quai [ke] contre balai [balɛ].
En syllabe ouverte interne, il existe une tendance extrêmement générale à fermer le [ɛ] traditionnel en [e], mais ce fait phonétique indéniable s’avère superficiel, très secondaire, même s’il produit une large variation, y compris chez les mêmes locuteurs. De sorte que le mieux, au nom de l’économie, consiste à retenir la variante traditionnelle correspondant en gros à l’uniformité de la série morphologique (embellir comme belle, caissier comme caisse) ou même à la seule orthoépie (p. ex. maison [mɛzɔ̃]). Par ailleurs, on doit noter que [e] est absolument exclu de la syllabe fermée dans la langue standard actuelle pour les mots d’origine française : par exemple, les prononciations anciennes en [e] mi-fermé de mots comme père, neige, pèse, etc., sont de nos jours très fortement stigmatisées.
La variation entre [e] et [ɛ] |
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La distinction des voyelles [e] et [ɛ] reste très nette dans la majorité des cas. À la fin des mots, ces voyelles ne sont jamais interchangeables, peu importe la façon de les écrire : qualité, ferai, mai, quai sont toujours en [e], alors que ferais, jamais, balai, monnaie, parfait, paix, poulet, forêt, exprès sont toujours en [ɛ]. Dans toutes les syllabes se terminant par une ou plusieurs consonnes prononcées (syllabes dites fermées), ces voyelles ne sont pas interchangeables non plus puisque seul [ɛ] est possible dans ce cas, par exemple dans certaine, festival, mer, veine, moderne. Toutefois, dans les syllabes qui se terminent par la voyelle elle-même (syllabes dites ouvertes) ailleurs qu’à la fin des mots, on trouve une variation absolument généralisée entre les deux timbres, peu importe la forme écrite. Ainsi, message,efficace, maison, plaisir, essayer, têtu, bêtise et des milliers d’autres mots permettent très naturellement de faire alterner les deux timbres [e] et [ɛ], autant chez une même personne qu’à travers la communauté des locuteurs. Malgré ce fait très général, certains mots particuliers n’ont qu’une seule prononciation, sans autre explication qu’une simple restriction de l’usage : on constate par exemple que aigu, aiguiser, aiguille sont uniquement prononcés en [e], alors que pour leur part réglementer et réglementation conservent le [ɛ] de règle et de règlement, tout comme sécher, séchage, sécheuse, séchoir se modèlent sur celui de sec, sèche. Enfin, il faut ajouter le cas des mots grammaticaux, soit les déterminants les, des, mes, tes, ses, ces, la conjonction mais et le verbe être à la troisième personne du présent de l’indicatif est. Ces mots sont dits grammaticaux parce qu’ils dépendent entièrement du mot plein ou de la séquence de mots pleins qu’ils introduisent. Ils sont donc traités comme si leur voyelle n’était pas finale et se prononcent normalement en [e] dans la langue parlée courante, même si on les trouve parfois prononcés en [ɛ] dans les situations formelles ou dans la lecture à haute voix. |
Il est nécessaire dans quelques rares cas de signaler deux prononciations courantes; il est normal alors de donner la préférence à la variante moderne, comme le fait le Petit Robert pour hôpital en transcrivant de manière simple et univoque [ɔ(o)pital] en 1967, bien qu’il ait abandonné la prononciation alternative en 1993. Deux variantes s’imposent aussi pour un certain nombre de mots d’origine savante (essentiellement grecque) présentant « gn » interne (p. ex. diagnostic [diaɲɔstik] ou [diagnɔstik]), pour lesquels on donne la préférence à la forme francisée en [ɲ], suivie de la prononciation savante en [gn]. Dans tous ces cas, les deux variantes sont notées au long pour des raisons d’univocité.
Les groupes consonantiques subissent, par tendance universelle, l’assimilation de sonorité, c’est-à-dire que les groupes de consonnes tendent à présenter la même valeur de sonorité pour chacune d’elles du début à la fin. Spécifiquement, cette contrainte ne vaut que pour les obstruantes (dites aussi « vraies consonnes ») entre elles, les sonantes (nasales, liquides, semi-voyelles) étant pour leur part neutres par rapport à ce phénomène. Ainsi, les groupes hautement fréquents [pʀ] après, [tʀ] trop, [gʀ] agricole; [bl] éblouir, [kl] cycle; [pj] espion, [dj] diable, [kj] inquiet, [vj] avion, [sj] émission, [ʃj] chien, etc., et [sm] comme dans -isme ne constituent pas des contre-exemples par rapport à cette généralisation.
Le cas se pose effectivement quand la graphie contredit la réalisation phonétique, dans les mots comme absence, absurde, obstacle, substance, qui ne sont pas composés morphologiquement, mais aussi à la jonction de préfixes tels que ab-, ad-, sub-, dis-. Les locuteurs ont assez facilement conscience des faits paradoxaux qui sont liés à ces préfixes à cause du fait que si la plupart de ces mots viennent de la couche savante du vocabulaire, beaucoup sont aujourd’hui passés dans le lexique courant et se trouvent ainsi à réintroduire des problèmes que la phonologie historique du français avait réglés à satisfaction, par assimilation régressive de la sonorité ou par simple effacement.
On a adopté ici une position semblable à celle du Petit Robert (bien qu’il ne soit pas entièrement cohérent là-dessus). L’assimilation est notée dans les mots non composés : donc, [ps] pour absence [apsɑ̃s], etc., (mais [bz] pour subsister [sybziste], qui est exceptionnel). Cette assimilation joue toutefois pour les deux valeurs de la sonorité, désonorisation et sonorisation, de sorte que les mots présentant ce dernier phénomène sont notés eux aussi comme ils se disent en réalité : avec [z] dans presbyte [pʀɛzbit], bisbille [bizbij], svelte [zvɛlt], avec [v] dans afghan [avgɑ̃], [g] dans anecdote [anɛgdɔt] et ainsi de suite.
Dans les mots morphologiquement composés, pour des motifs d’uniformité et de cohérence, il s’impose de donner préférence à la morphologie sur la phonétique brute. Ainsi, dis- est noté [dis-] partout, y compris dans disgrâce et disjoindre, les deux seuls candidats potentiels, avec leur « famille », à l’assimilation de sonorité. Par ailleurs, si on a bien [ps] dans substance, substituer, etc., où la composition morphologique est fortement démotivée, il est préférable de noter [bs] dans substrat et [ds] dans adstrat, par exemple. Comme il s’agit essentiellement de vocabulaire technique, le procédé ne devrait pas faire problème, quitte à revoir d’éventuels cas particuliers.
Les seuls autres cas de variation lexicale se trouvent dans les latinismes, où la graphie « en » est susceptible de varier entre [ɑ̃] et [ɛ̃]; il semble raisonnable pour ces rares cas de donner la préférence à la variante francisée en [ɑ̃] et de mentionner au besoin la variante latinisante en [ɛ̃] en deuxième choix, par exemple pour référendum, agenda, etc.
Les latinismes comportant la voyelle « u » semblent se partager entre [u] et [y] selon l’époque de leur introduction en français, ou encore en fonction de leur appartenance au vocabulaire religieux ou juridique, et la tradition locale peut diverger de la tradition européenne. La finale « -um » est normalement prononcée [-ɔm] : album, forum, géranium, sérum, etc.
Le traitement suivant est donné au « e muet », aussi appelé schwa.
Le « e muet » n’est de toute évidence jamais noté en finale de mot parce que sa prononciation effective dans ce contexte ne relève pas des attributs d’un dictionnaire. Il est toutefois noté dans les monosyllabes comme que, de, le, me, se, etc., dont c’est l’unique voyelle, ainsi que dans les composés de que (presque [pʀɛskə]) ou dans les locutions comportant que (pourvu que [puʀvykə]), de même que dans les locutions composées avec de (afin de [afɛ̃də]).
En position interne dans le mot, la situation est plus complexe et présente trois cas distincts.
2.4.2.1 Le « e muet » variable
Le [ə] simple note le « e muet » partout où il est variablement présent, comme dans semelle [səmɛl], fenêtre [fənɛ:tʀ], etc., étant clairement entendu qu’il peut toujours être omis de la prononciation : [smɛl], [fnɛ:tʀ], etc. Il n’est évidemment pas noté dans les cas idiosyncratiques comme médecin [medsɛ̃], samedi [samdi], hameçon [amsɔ̃], etc., où il n’est de fait jamais prononcé par personne. Il n’est pas noté non plus dans les paradigmes très réguliers des suffixes -ment (nom et adverbe), -erie, -erole, -eron et -eté (agacement [agasmɑ̃], follement [fɔlmɑ̃], lingerie [lɛ̃ʒʀi], banderole [bɑ̃dʀɔl], aileron [ɛlʀɔ̃], brièveté [bʀiɛvte]), où il n’est pas prononcé à moins d’être précédé d’un groupe de consonnes obstruante-liquide (humblement [œ̃bləmɑ̃], ladrerie [lɑdʀəʀi], âpreté [ɑpʀəte], etc.). D’autres parlers dans la francophonie peuvent comporter des exceptions à ce trait général, par exemple en prononçant effectivement le « e muet » de mots particuliers comme enseignement, renseignement.
2.4.2.2 Le « e muet » paradoxal
Le [ə̠], schwa souligné, signale de façon particulière le « e muet paradoxal », qui est toujours prononcé par tout le monde bien que cet usage soit arbitraire, comme dans bergerie, forteresse, garderie, chevelure, ressemeler, marchepied, y compris le cas de mots composés comme porte-clés, porte-plume (à l’inverse de porte-drapeau [pɔʀtdʀapo]). Cet usage est arbitraire dans la mesure où les règles existantes permettraient de ne pas le prononcer. On comprend alors que la prononciation de certains mots puisse changer d’une variété nationale à l’autre ou d’une variété régionale à l’autre, par exemple dans cafetière, chevalier ou papeterie. On observe que l’appartenance au lexique spécialisé ou savant favorise la conservation paradoxale du schwa en première syllabe : devise, menotte… Quoi qu’il en soit, le symbolisme du soulignement dénote de manière évidente l’insistance, et le procédé est graphiquement et visuellement facile.
2.4.2.3 Le « e muet » obligé
Aucun traitement particulier n’est donné au « e muet » qui se prononce toujours en vertu d’une règle générale fondée sur une condition purement phonétique, c’est-à-dire quand la voyelle est précédée d’un groupe de consonnes formé d’une obstruante et d’une liquide, comme dans brevet, amplement, crevette, etc., où il est rigoureusement impossible à cause de cela même de ne pas la prononcer.
Le « e muet » |
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On appelle traditionnellement « e muet » la seule et unique voyelle du français (parmi les seize) qui a la propriété exceptionnelle de pouvoir s’effacer, c’est-à-dire de ne pas être prononcée, selon le style de langue utilisé, le statut lexical ou grammatical des mots en cause et le contexte phonétique environnant. Ainsi, on trouve plus de « e muets » effectivement prononcés dans le style formel (au contraire du style familier), dans les mots rares (au contraire des mots courants) ou en présence de certains groupes de consonnes. Cette voyelle exceptionnelle, qui distingue le français des autres langues romanes et le rapproche plutôt des langues germaniques, est très fréquente dans le discours à cause de la structure du vocabulaire. On la trouve à la fin de beaucoup de mots, mais également dans beaucoup de monosyllabes à statut grammatical : le déterminant le, les pronoms personnels je, me, te, le, se, la préposition de, le pronom relatif et la conjonction que, ainsi que dans le préfixe re-. Les suites de syllabes comportant chacune un « e muet » sont rares (devenir, retenir, revenu); elles résultent le plus souvent de la combinaison des monosyllabes mentionnés, par exemple dans que je te le redemande. La règle générale de la langue standard est qu’on peut effacer « e muet » pour autant qu’on ne crée pas de groupes de consonnes impossibles ou problématiques en français. Il s’efface normalement à la fin des mots et devant les suffixes -ment (franch’ment mais librement), -eté (sal’té mais propreté), -erie (ménag’rie mais poudrerie), -eron (ail’ron mais forgeron). Dans les suites de syllabes, la tendance est de conserver le premier au détriment du deuxième, sauf usage prédominant (c’que de préférence à ce qu’, j’te de préférence à je t’). Autrement, on peut alterner quelle que soit la longueur : dev’nir ou d’venir, rev’nu ou r’venu; je m’ le r’dis ou j’me l’redis. De plus, l’usage fait que, selon leur statut rare ou technique, ou selon les différents parlers, certains mots ont un « e muet » paradoxalement toujours prononcé, par tous les locuteurs de la communauté linguistique, alors qu’il pourrait théoriquement s’effacer s’il suivait la règle : chevalier, jamais *ch’valier (cf. cheval ou ch’val); fenestration, jamais *f’nestration (cf. fenêtrage ou f’nêtrage); tenace, jamais *t’nace (cf. tenais ou t’nais) ou qu’il pourrait alterner (chevelure prononcé chev’lure, jamais *ch’velure; ensevelir prononcé ensev’lir, jamais *ens’velir). Au cours de l’histoire, plusieurs « e muets » ont totalement disparu. Certains sans laisser aucune trace, par exemple dans persil, serment (de l’ancien français perresil, sairement respectivement) parce que le groupe de consonnes ainsi dérivé existait déjà par ailleurs, soit [ʀs] comme dans verser, et [ʀm] comme dans charmant. Au contraire, certains autres « e muets fantômes » font sentir leur présence indirecte dans des groupes de consonnes qui ne pourraient pas exister autrement, comme *[md] dans sam’di, *[tl] dans att’lage ou *[ds] dans méd’cin. |
Les emprunts sont notés avec leur prononciation réelle d’ici. La question se pose dans ces termes surtout pour les emprunts à l’anglais, souvent traités de façon différente en France pour des raisons essentiellement extralinguistiques, soit l’absence là-bas de situation de contact effective et par conséquent le recours direct à la seule graphie… Par exemple, c’est la prononciation locale naturelle [bezbɑl] qui est donnée, et non une prononciation inusitée chez nous comme [bɛzbol] (Petit Robert depuis la première édition de 1967). De même, la finale anglaise « -y » correspond naturellement en français québécois à [e] et non à [i] (à moins que l’anglicisme lui-même soit venu par la France, comme rugby), qui est obtenu par une simple lecture de la forme graphique d’origine.
Spécialement, la finale anglaise fréquente -er est notée [-œʀ] comme la finale -eur correspondante du français. Ainsi, [bɔksœʀ] vaut pour le pugiliste, boxeur, comme pour la race canine, boxer, indépendamment du fait que le premier terme est complètement intégré dans la morphologie (il comporte le suffixe -eur), alors que le second a conservé sa forme d’origine. Certains de ces anglicismes peuvent comporter une prononciation alternative en [-ɛʀ] due à leur emprunt par l’intermédiaire d’un usage européen (p. ex. soccer, pilsener). Rappelons enfin que la haute fréquence des emprunts anglais en -ing justifie à elle seule d’inclure le symbole [ŋ] parmi les phonèmes consonnes, en comptant qu’il sert aussi pour des emprunts à d’autres langues.